Une psychologue à la brigade criminelle
Mis à jour le 30 septembre 2022
Un article Une psychologue à la brigade criminelle, publié sur le site de La Croix.
Frédérique Balland, psychologue, a travaillé plus de onze ans dans la police nationale. Auteure du livre Au plus près du mal (Editions Grasset. 2015). Elle exerce aujourd’hui dans son cabinet où elle pratique la méthode EMDR popularisée par David Servan-Schreiber.
Cette « profileuse » a passé onze année à la brigade criminelle de Paris, où elle est notamment intervenue durant l’affaire Halimi, puis elle a ouvert un cabinet privé
Elle a beau être psychologue, quand les souvenirs remontent, l’émotion la submerge. Frédérique Balland marque un arrêt, souffle quelques secondes puis replonge dans l’« affaire » Ilan Halimi, du nom de ce jeune homme mort en 2006 après avoir été torturé durant trois semaines par le « gang des barbares ».
Psychologue à la brigade criminelle, « profileuse » comme disent les séries télévisées, elle a vécu au plus près les négociations avec Youssouf Fofana. « Au départ, j’étais dans mon rôle traditionnel : élaborer le profil du ravisseur et aider les négociateurs. Mais, rapidement, l’important a été de soutenir le père d’Ilan qui était en contact avec le tortionnaire. Je lui expliquais comment on travaillait, pourquoi on lui demandait de faire certaines choses. Il avait besoin de comprendre, de parler, parfois de tout autre chose. Je lui donnais des espaces de respiration, parce que c’est suffocant ce qui se passe à ce moment-là. »
Un déchaînement de violence
Durant près de trois semaines, l’équipe de négociation vit en huis clos avec Didier Halimi. Certains jours, le ravisseur appelle plus de quarante fois. « Des coups de fil épouvantables. Il menaçait son fils des pires sévices, il l’insultait. Face au déchaînement de violence, lui restait calme, posé, fort. » Mais la négociation s’enlise et l’équipe décide de suspendre le contact. « Le ravisseur était de moins en moins cohérent et M. Halimi était épuisé. »
La psychologue n’oubliera jamais le coup de fil de la brigade criminelle, quelques jours plus tard. « ”Frédérique, quelqu’un a été trouvé et on se demande si c’est pas la personne qui a été enlevée. “Sur le coup, je me dis : ”Non non non.” Et puis ben… voilà. Ensuite, on reçoit les photos. Et là, il y a un moment où il n’y a pas de doute. »
Viennent alors la remise en question, profonde, puis le sentiment d’avoir tout essayé. « Il n’y avait pas une minute où Ilan n’était pas dans nos têtes. On a mis toutes nos forces pour le délivrer. S’il y a bien une chose, c’est qu’on n’a pas été froids. »
L’envie de revenir au soin
Quelques mois plus tard, Frédérique Balland a quitté la police, ses scènes de crimes et ses interrogatoires, le « travail subtil et modeste » qui consiste à voir ce qui échappe aux enquêteurs pour les aider à orienter l’enquête. « J’ai profondément aimé mon travail. Mais cela faisait six ou sept ans que j’avais un bip en permanence à la ceinture. La nuit, le jour, le week-end, il pouvait sonner d’un moment à l’autre. Ça donne un sentiment d’utilité, mais… J’avais envie de revenir au soin. »
Quand elle évoque ses consultations dans le cabinet qu’elle a ouvert, en région parisienne, elle retrouve sourire et légèreté. Elle aime explorer avec ses patients les « recoins les plus profonds de leur être », « ces moments d’une intimité incroyable » et le « bonheur inouï » de la dernière séance, quand la personne dit : « Ça y est, ça va mieux. »
Un métier passionnant
À « très bientôt 46 ans », elle n’exclut pas pour autant de revenir un jour dans la police. L’adrénaline lui manque un peu, le travail en équipe beaucoup. Elle a écrit un livre, Au plus près du mal (1), où, de scènes de crime en interrogatoires, elle raconte ce métier passionnant qui consiste à comprendre ce qui se passe dans la tête des agresseurs.
Elle rend un hommage appuyé à ses anciens collègues. « On entend beaucoup de choses négatives sur la police, mais moi ce que j’ai vécu au milieu d’eux, c’est très différent. Ce sont des gens que j’admire, qui font preuve de courage, qui sont capables de se dévouer pour des gens qu’ils ne connaissent pas, qui sont éventuellement capables aussi de prendre des risques, notamment celui de se faire tuer, pour des gens qu’ils ne connaissent pas. »
Son inspiration : Travailler au service des autres
« Cela peut sembler désuet ou grandiloquent, mais j’aime l’idée d’œuvrer pour le bien public » avoue Frédérique Balland. « Dans une société qui prône le “moi, moi, moi”, la notion de “service public” a du sens. En cabinet, je suis psychothérapeute en EMDR (désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux), une thérapie comportementale efficace notamment dans le traitement post-traumatique. Sa fondatrice, l’Américaine Francine Shapiro, a créé une association humanitaire qui envoie des formateurs dans tous les pays où il y a eu des populations sinistrées, comme Haïti. L’idée, c’est que le traumatisme peut entraîner des violences et que donc plus on cicatrisera les traumatismes, plus on aura l’espoir de vivre dans un monde plus stable et heureux. Cette dimension humanitaire m’a convaincue que j’étais à ma place en pratiquant cette thérapie. »
(1) Au plus près du mal, de Frédérique Balland, éd. Grasset, 176 p., 17 €.
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