Transfert et Contre-transfert dans la Thérapie EMDR

Mis à jour le 17 janvier 2022

Un article Transfert et Contre-transfert dans la Thérapie EMDR, d’Olivier Piedfort Marin, publié dans le Journal of EMDR Practice and Research

Article disponible en français, accès libre

Résumé

Comme pour toute autre méthode de psychothérapie, la thérapie de désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) devraient conceptualiser les phénomènes intersubjectifs actifs durant la thérapie EMDR, en particulier dans le traitement des cas complexes. Cet article décrit les concepts de transfert et contre-transfert et comment les intégrer dans le modèle du Traitement Adaptif de l’Information (TAI). Dans cet article la recherche sur les neurones miroirs, le concept de système d’action ainsi que des considérations récentes sur la théorie de l’attachement pour les patients ayant un attachement désorganisé, sont incorporés aux concepts de transfert et contre-transfert. L’apport de chacune de ces théories est illustré par une vignette clinique qui décrit la manière dont les processus conscients et inconscients du client et du thérapeute sont imbriqués et comme ils peuvent affecter l’efficacité de la thérapie EMDR. Nous proposons le tissage cognitif basé sur le contre-transfert pour activer le TAI lorsque des problèmes contre-transférentiels bloquent le processus. Intégrer la connaissance sur le transfert et le contre-transfert dans la thérapie EMDR peut augmenter l’efficacité de l’EMDR, en particulier dans les cas complexes.

Extraits

Lorsqu’ils travaillent avec des patients traumatisés, les psychothérapeutes – comme tout être humain – réagissent, consciemment ou inconsciemment, aux récits terribles et parfois horribles qu’il entendent dans leur cabinet. Comment pourrait-il en être autrement ? Comme Dworkin le développe en détail dans son livre (2005; voir aussi Dworkin & Errebo, 2010), ces réactions conscientes et inconscientes peuvent avoir un impact sur le patient et sur la relation entre celui-ci et le thérapeute, avec un effet sur l’utilisation et l’efficacité de la méthode choisie, dans ce cas l’EMDR. (…) Etre thérapeute spécialisé dans le traitement des traumatismes implique d’être confronté à des récits d’événements perturbants et parfois horribles et cela peut avoir un effet sur de nombreux thérapeutes, y compris les thérapeutes EMDR (Schubbe, 2011).
Cet article propose des manières de comprendre comment le transfert et le contre-transfert peuvent influencer l’utilisation et l’efficacité de l’EMDR. Nous décrirons comment intégrer ces concepts à l’origine psychodynamiques dans le modèle du Traitement Adaptatif de l’Information (TAI), et nous donnerons des exemples clinique pour illustrer nos propos. Le présent article soutient le travail de Mark Dworkin (2005) et ajoute à son travail pionnier les apports de la théorie des neurones miroirs, la théorie de l’attachement (principalement les travaux de Liotti, 2011) et le concept de système d’action (van der Hart, Nijenhuis, & Steele, 2006). Ainsi, le transfert et le contre- transfert peuvent être des concepts plus accessibles pour les thérapeutes EMDR qui ne sont pas formés à la thérapie psychodynamique. Des vignettes cliniques illustreront ces perspectives théoriques. (…)
Dworkin (2005, p.126) propose une définition du transfert et du contre-transfert compatible avec le modèle TAI de l’EMDR. Il définit le transfert en EMDR comme « l’activation de souvenirs liés à un état, dirigés envers le thérapeute » et le contre-transfert comme « l’activation chez le clinicien d’un souvenir lié à un état, qui a été activé par le patient, intentionnellement ou non. » Je propose une définition quelque peu plus proche de la terminologie EMDR. Le transfert peut être considéré comme l’activation chez le patient d’un souvenir (principalement de traumatismes ou d’un attachement problématique) stocké de manière dysfonctionnelle et en lien avec la thérapie, le patient ou la relation au thérapeute. Le contre-transfert peut être défini comme l’activation chez le thérapeute de souvenirs (principalement de traumatismes ou d’un attachement problématique) stockés de manière dysfonctionnelle, activation – consciente ou inconsciente – causée par le patient, son histoire, son matériel, sa relation au thérapeute (…)
Dans la thérapie EMDR patient et thérapeute sont assis proches l’un de l’autre et ciblent du matériel très sensible. Le thérapeute, en particulier s’il utilise des mouvements oculaires comme stimulation bilatérale alternée (SBA), regarde les yeux du patient de manière plus proche que dans d’autres approches thérapeutiques. Certains des processus psychologiques du thérapeute pourraient être expliqués par le concept des neurones miroirs (…)

Analyse des systèmes et sous-systèmes d’action en EMDR

Voici les principaux sous-systèmes d’action que les thérapeutes peuvent ressentir en travaillant en EMDR avec des patients traumatisés.
Les sous-systèmes d’action de défense en thérapie EMDR.
• L’évitement / la fuite : par exemple, éviter d’écouter les récits et traumatismes de la patiente,
et ainsi éviter de passer à la phase de retraitement du traumatisme (Phases 3-6 du traitement EMDR), ou passer au retraitement du traumatisme aussi tôt que possible pour s’en débarrasser au plus vite.
• La soumission : p. ex., obéir à la demande du patient de faire de l’EMDR, indépendamment des conditions, ou obéir au mentor/superviseur/ formateur du thérapeute sans réfléchir à la situation spécifique dans laquelle la thérapeute et la patiente sont engagées.
• Le combat : p. ex., réagir avec irritation ou frustration lorsqu’une patiente n’élabore pas la
cognition négative ou positive, ou lorsque le retraitement ne se fait pas selon les attentes de la
thérapeute. Cela peut stresser certaines patientes au point où leur difficulté de trouver une cognition s’accroit Dworkin & Errebo, 2010).
Les sous-systèmes d’action dirigés vers un stimulus pendant la thérapie EMDR.
• L’attachement : p. ex., lorsqu’un thérapeute ressent de l’attachement pour un patient.
• Le rang social / la domination : lorsqu’un thérapeute, se considérant comme un spécialiste, ressent le besoin d’être dominant envers le patient. Cela peut avoir lieu lorsque le thérapeute
impose sa vision de la thérapie. Chez de nombreuses espèces ce sous-système d’action permet l’organisation d’un groupe d’individus de manière utile pour la survie de l’espèce. Néanmoins
la thérapie EMDR est considérée comme une approche centrée sur le client (Shapiro, 2001), c’est pourquoi c’est la collaboration qui devrait être promue et non le rang social.
• Le jeu : une certaine dose de jeu peut être utile en psychothérapie. Néanmoins un usage exagéré de ce sous-système peut être un signe d’évitement de la part de la thérapeute ou des deux thérapeute et patient.
• L’exploration : la capacité de découvrir et d’explorer l’inconnu. Par exemple, explorer les symptômes et essayer de les comprendre.
• L’engagement social / la collaboration : la capacité de s’engager dans une relation collaborative
saine, sans besoin excessif d’attachement ou de domination.
• La coopération : la capacité pour deux ou plusieurs individus de travailler sur une tâche avec un objectif commun partagé.

Discussion

Cet article propose que la psychothérapie EMDR, comme toute autre psychothérapie, devrait porter une attention particulière aux possibles problématiques transférentielles et contre-transférentielles pour accroitre son efficacité, en particulier dans le traitement des cas complexes. Travailler avec le contretransfert en thérapie EMDR est possible aussi pour les thérapeutes qui n’ont pas été formés à la thérapie psychodynamique ou la psychanalyse et qui souhaitent développer des outils d’observation et d’analyse. Pour prendre conscience du contre-transfert, le meilleur outil est de développer les capacités d’auto-observation
et d’attention, et la pleine conscience. Développer une attention ciblée de ce qui se passe dans la relation avec les patients, et en soi à propos des patients, cela nécessite de l’entraînement. Certains thérapeutes sont plus capables que d’autres d’être en pleine conscience mais c’est une qualité qui peut être développée de différentes manières. Certains peuvent bénéficier d’un stage de pleine conscience, d’autres de méditation, d’autres encore auront leurs propres manières de devenir plus attentifs en conscience. Développer un « observateur intérieur » peut également être un outil intéressant. Cela peut être utile pour certains thérapeutes de se concentrer sur différents niveaux d’information : ce que le patient dit et montre, mais aussi ce que le thérapeute sent, pense, fait et « voit » à propos du patient, de lui-même et à propos de leur relation. La thérapeute devrait aussi être attentive à ce qu’elle ne sent pas, ne pense pas et ne fait pas. Tout changement dans les habitudes de travail pourrait être le signe d’une possible problématique contretransférentielle. La réalisation d’une problématique contre-transférentielle peut émerger à tout moment : à la maison, au sport, dans un rêve, lorsqu’on est avec un autre patient, etc. La supervision est un espace prédestiné pour permettre l’émergence de possibles problématiques contre-transférentielles avec l’aide empathique du superviseur. Il arrive souvent qu’une thérapeute ressente « qu’il y a quelque chose qui se passe » mais c’est seulement en supervision qu’elle pourra se rendre compte de la nature du problème. Les superviseurs peuvent aider les thérapeutes à développer leurs capacités d’observation en lien avec le contre-transfert. La compréhension des problématiques contre-transférentielles peut bénéficier d’une analyse structurée. (…)
 
Lire l’article complet en français Transfert et Contre-transfert dans la Thérapie EMDR en ligne
 

En savoir plus

Piedfort-Marin, Olivier. (2018). Transfert et Contre-transfert dans la Thérapie EMDR. Journal of EMDR Practice and Research. 12. 158-172. 10.1891/1933-3196.12.4.E87.
Formation(s) : Relation thérapeutique – Stratégies relationnelles pour traiter les patients souffrant de traumas difficiles
Dossier(s) : La relation thérapeutique en EMDR

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