Quelques observations sur l’EMDR à distance avec les personnes ayant une déficience intellectuelle
Mis à jour le 26 octobre 2024
Un article de Unwin, G., Stenfert‐Kroese, B., Rogers, G., Swain, S., Hiles, S., Clifford, C., Farrell, D., & Willner, P., publié dans le Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities
Article publié en anglais – accès libre en ligne
Résumé
Il est de plus en plus reconnu que de nombreuses personnes souffrant de déficiences intellectuelles souffrent de troubles de stress post-traumatique (TSPT).
La désensibilisation et le retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) ont été proposés comme une intervention potentiellement utile qui dépend moins des compétences verbales que d’autres traitements efficaces du TSPT et qui pourrait donc être plus efficace que les interventions verbales pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles.
Le projet Trauma-AID est un essai clinique randomisé (ECR) qui évalue l’efficacité d’un protocole EMDR sur mesure pour les adultes présentant une déficience intellectuelle et un TSPT, qui intègre une phase prolongée de psychoéducation et de stabilisation (PES) avant la phase de confrontation au traumatisme de l’EMDR.
La pandémie de COVID-19 a frappé pendant la phase de faisabilité du projet Trauma-AID, nécessitant une seconde étude de faisabilité pour évaluer l’acceptabilité et la faisabilité de la prestation à distance ou hybride du protocole PES + EMDR.
À cette fin, nous avons mené deux enquêtes en ligne auprès de thérapeutes, suivies d’entretiens avec des patients, des soignants et des thérapeutes confirmés.
Les enquêtes ont été analysées de manière descriptive.
L’analyse de contenu a été utilisée pour les entretiens avec les patients et les soignants, et l’analyse de cadre pour les entretiens avec les thérapeutes.
Toutes les parties prenantes ont fait état d’une expérience positive de l’EMDR, mais certaines difficultés ont été identifiées.
La majorité des patients, des soignants et des thérapeutes interrogés ont déclaré que l’intervention, qu’il s’agisse du PES seul ou de l’ensemble PES-EMDR, avait amélioré les symptômes du TSPT et le bien-être psychologique, et les soignants ont également fait état d’une diminution des comportements difficiles.
Un compte rendu complet des données est fourni dans quatre fichiers numériques supplémentaires.
La thérapie PES-EMDR semble à la fois faisable et acceptable pour les patients présentant une déficience intellectuelle et pour les thérapeutes, qu’elle soit dispensée en face à face ou à distance ou en mode hybride, bien que le travail à distance semble plus facile pour la phase PES que pour la phase EMDR de l’intervention.
Introduction
Le trouble stress-traumatique (TSPT) est un trouble mental courant qui peut se développer à la suite d’une exposition à des événements traumatisants. Environ 3 % de la population adulte en Angleterre souffre actuellement de TSPT (McManus et al., 2008). Les taux de TSPT sont plus élevés chez les personnes présentant une déficience intellectuelle que dans la population générale : une méta-analyse récente a fait état d’une prévalence de 10 % (Daveney et al., 2018), une étude suggérant que la prévalence du TSPT chez les patients hospitalisés présentant une déficience intellectuelle légère pourrait dépasser 40 % (Nieuwenhuis et al., 2017). Il existe de nombreuses preuves que les personnes présentant une déficience intellectuelle sont plus susceptibles de subir des brimades graves et prolongées et/ou des abus sexuels et d’autres types d’abus (Beadle-Brown et al., 2010; Mevissen & de Jongh, 2010; Organisation mondiale de la santé, 2018) et que les événements de vie défavorables sont traumatisants pour cette population (Hall et al., 2014; Wigham et al., 2011; Wigham & Emerson, 2015). Une étude portant sur des personnes présentant une déficience intellectuelle et se présentant pour un traitement du TSPT a indiqué que presque toutes avaient vécu de multiples événements traumatisants à l’âge adulte et qu’environ la moitié (probablement une sous-estimation) ont déclaré avoir également vécu des événements traumatisants dans l’enfance (Mason-Roberts et al., 2018). Les personnes ayant une déficience intellectuelle qui ont été traumatisées présentent généralement des présentations complexes de TSPT et affichent des comportements d’automutilation ou d’autres comportements difficiles (Kildahl et al., 2020; McCarthy, 2001; McNally et al., 2021; Mevissen & de Jongh, 2010), en particulier lorsqu’elles se trouvent sur le spectre autistique (Rumball, 2019), et/ou présentent une comorbidité physique et psychiatrique (Mevissen & de Jongh, 2010). Fréquemment, le TSPT n’est pas diagnostiqué chez ce groupe de patients, et le traitement se concentre sur la gestion des comportements difficiles (McNally et al., 2021). Ces patients peuvent être extrêmement complexes et difficiles, nécessitant le soutien de services de déficience intellectuelle hautement spécialisés et un soutien communautaire considérable, et risquent d’être admis à l’hôpital. Leurs symptômes peuvent également leur causer, ainsi qu’à leur entourage, une grande détresse.
Sur la base de données probantes issues de revues systématiques et de méta-analyses, le National Institute of Clinical Excellence (NICE) du Royaume-Uni et d’autres directives cliniques recommandent des thérapies psychologiques axées sur les traumatismes pour le TSPT (American Psychological Association, 2004; Bisson et al., 2019; National institute for Clinical Excellence, 2005a, 2005b; Phelps et al., 2021), car les thérapies qui n’obligent pas le patient à se concentrer sur ses souvenirs traumatiques sont moins efficaces (Bisson et al., 2013). Les interventions axées sur le traumatisme les mieux étayées sont la thérapie cognitivo-comportementale axée sur le traumatisme (TF-CBT) et la désensibilisation et le retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) (Bisson et al., 2013). Il y a eu relativement peu de recherches sur les interventions pour les présentations plus complexes du TSPT, mais les preuves existantes suggèrent que les approches par étapes peuvent être bénéfiques, dans lesquelles le patient suit d’abord une psychoéducation et une stabilisation émotionnelle (PES) avant d’entreprendre toute intervention centrée sur le traumatisme (Courtois, 2004; The Complex Trauma Taskforce, 2012). S’il n’y a guère à choisir entre la TF-CBT et l’EMDR du point de vue de leur efficacité dans le TSPT, elles diffèrent par l’expérience proposée au patient. La TF-CBT est une intervention très verbale qui vise à identifier et à modifier les surinterprétations du niveau réel de menace, ainsi qu’à modifier les croyances et les perceptions concernant l’événement traumatique. En revanche, l’EMDR repose moins sur l’expression verbale : le patient se concentre sur les souvenirs d’événements traumatiques passés tout en effectuant des mouvements oculaires contrôlés (ou une autre forme de stimulation bilatérale (Laliotis et al., 2021)) qui attirent l’attention et permettent au thérapeute de gérer l’intensité de la détresse du patient (Shapiro, 1999).
L’EMDR étant ostensiblement moins tributaire de l’expression verbale que la TCC, elle pourrait en principe être considérée comme plus adaptée aux personnes souffrant de déficiences intellectuelles. Le protocole EMDR standard est difficile à utiliser avec les personnes présentant une déficience intellectuelle, car les exercices de mouvements oculaires (ou les procédures alternatives de stimulation bilatérale) ne sont pas familiers, leur objectif est difficile à expliquer, et les patients présentent souvent des antécédents de traumatismes anciens et compliqués qu’ils peuvent être réticents à affronter en thérapie (Unwin et al., 2019). L’approche peut sembler peu familière aux thérapeutes travaillant dans les services de déficience intellectuelle et ils peuvent manquer de confiance pour adapter le protocole standard à leurs patients (Unwin et al., 2019). Toutefois, il est possible de rendre la procédure plus accessible aux personnes présentant une déficience intellectuelle et plus acceptable pour les thérapeutes en élargissant la phase d’introduction de l’EPS afin d’accroître l’engagement et de s’assurer que les participants comprennent suffisamment ce qu’ils doivent faire et pourquoi, et en utilisant certaines des techniques développées pour être utilisées avec des enfants traumatisés (mais adaptées de manière à être appropriées pour les adultes (Barol & Seubert, 2010)). Certains rapports d’études de cas suggèrent que des protocoles EMDR adaptés peuvent être utilisés pour traiter le TSPT chez les personnes présentant une déficience intellectuelle (Gilderthorp, 2015; Jowett et al., 2016; Mevissen et al., 2011, 2017; Porter, 2022), et un essai contrôlé à petite échelle a conclu que l’EMDR était « faisable, acceptable et potentiellement efficace » pour les personnes présentant une déficience intellectuelle (Karatzias et al., 2019). Toutefois, une étude récente a conclu que si l’EMDR semble acceptable et faisable, « aucune conclusion ferme ne peut être tirée concernant l’efficacité en raison de la petite taille des échantillons, de l’absence d’évaluation standardisée et de la rareté des modèles de traitement méthodologiquement rigoureux » (Byrne, 2022). Les adaptations du protocole EMDR standard qui se sont révélées efficaces sont l’utilisation de supports visuels, le retour fréquent à la cible et la focalisation sur les émotions et les sensations physiques plutôt que sur les images mentales ou les cognitions. Une adhésion rigide au protocole standard est susceptible d’entraîner un traitement et un engagement moins efficaces pour ce groupe de patients (Porter, 2022).
Cet article présente les données initiales du projet Trauma-AID (titre complet : Eye movement desensitisation and reprocessing for symptoms of TSPT in adults with intellectual disabilities), qui est un essai contrôlé randomisé (ECR) d’une intervention PES + EMDR adaptée aux personnes ayant une déficience intellectuelle qui recrute actuellement des participants (financé par le programme d’évaluation des technologies de la santé (ETS) du National Institute for Health Research (NIHR)). Le projet a débuté par une étude de faisabilité visant principalement à tester l’acceptabilité de l’intervention PES-EMDR. Une deuxième étude de faisabilité a ensuite été lancée pour examiner l’acceptabilité de la prestation à distance ou hybride, à la suite de la pandémie de COVID-19 et du passage à un modèle de travail à distance dans les sites participants. Cet article présente les résultats de ces études de faisabilité. (Une publication séparée présentera un compte-rendu détaillé du protocole de l’essai clinique randomisé). Notre objectif était de confirmer l’acceptabilité du protocole PES-EMDR adapté mis en œuvre dans l’étude Trauma-AID, et d’évaluer l’acceptabilité et la faisabilité de la prestation à distance de l’intervention. En raison de la pandémie, la prestation à distance des interventions est devenue une pratique courante dans de nombreux services de psychologie clinique. À notre connaissance, c’est la première fois que l’EMDR est administré à distance à des personnes souffrant de déficiences intellectuelles.
Conclusions
Les données qualitatives recueillies auprès des patients, des soignants et des thérapeutes au cours de la phase préliminaire d’un essai contrôlé randomisé évaluant l’efficacité d’un protocole PES-EMDR sur mesure pour les adultes présentant une déficience intellectuelle et un TSPT étayent les conclusions suivantes concernant cette intervention et sa mise en œuvre à distance :
Acceptabilité et faisabilité de l’intervention PES-EMDR
- La majorité des patients, des soignants et des thérapeutes interrogés ont déclaré que l’intervention, qu’il s’agisse de la PES seule ou de l’ensemble PES-EMDR, avait amélioré les symptômes du TSPT et le bien-être psychologique, et les soignants ont également fait état d’une diminution des comportements difficiles.
- L’intervention est acceptable pour la majorité des patients, bien que certains puissent choisir d’arrêter le traitement après la phase PES et de ne pas progresser vers la confrontation au traumatisme.
- Pour des raisons cliniques inévitables, il peut parfois être nécessaire d’étendre les plans de sessions PES au-delà d’une seule session, ce qui entraîne une phase préliminaire (PES) prolongée.
Acceptabilité et faisabilité de la prestation à distance
- S’il est possible que la pandémie en cours produise des situations dans lesquelles les patients ne peuvent pas poursuivre la thérapie en face-à-face mais sont incapables de passer au travail à distance, ces situations seront probablement brèves et ne nécessiteront pas d’arrangements particuliers.
- La prestation à distance ou hybride de la thérapie PES-EMDR semble à la fois faisable et acceptable pour les patients présentant des déficiences intellectuelles et les thérapeutes, bien que le travail à distance semble plus facile pour la phase PES que pour la phase EMDR de l’intervention.
- Les thérapeutes hésitent à pratiquer la confrontation à distance des traumatismes à moins que le patient ne bénéficie d’un bon soutien pendant et après la séance de thérapie.
- La thérapie en face à face est généralement préférable à la thérapie à distance, mais il peut y avoir des exceptions où la thérapie à distance est préférée par les patients. (Un protocole visant à vérifier les souhaits des patients, en ce qui concerne le choix du travail en face à face, à distance ou hybride, a été incorporé dans le protocole principal de l’essai).
- On peut compter sur les thérapeutes pour exercer leur jugement clinique continu concernant la capacité d’un patient à entreprendre l’intervention PES-EMDR à distance, en s’appuyant sur leur connaissance des facteurs techniques et de protection qui s’appliquent à leur client, et en recourant à la supervision clinique le cas échéant.
Points forts et limites
La conception de cette étude a été limitée par son objectif principal : évaluer l’acceptabilité et la faisabilité d’une intervention spécifique en vue de son utilisation dans le cadre d’un essai clinique randomisé à grande échelle. Les contraintes de temps imposées par ce contexte pragmatique signifiaient que certains des participants avaient une expérience limitée de la procédure PES-EMDR complète, et que seuls certains d’entre eux avaient l’expérience du travail à distance. Malgré ces limites, nous avons pu recueillir suffisamment de données convergentes, à partir d’une variété de sources, pour parvenir à des conclusions claires, telles qu’énumérées ci-dessus, afin de guider la pratique clinique. Et bien que le contexte de l’étude ait été les besoins d’un essai clinique spécifique, nous nous attendons à ce que les conclusions s’appliquent à d’autres protocoles EMDR pour les personnes ayant une déficience intellectuelle. L’essai Trauma-AID, qui intègre les conclusions de l’étude de faisabilité présentée ici, est maintenant ouvert au recrutement.
Notre conclusion générale est que, avec quelques réserves, la thérapie PES-EMDR semble à la fois faisable et acceptable pour les patients présentant une déficience intellectuelle et les thérapeutes, qu’elle soit dispensée en face à face ou à distance ou en mode hybride, bien que le travail à distance semble plus facile pour la phase PES que pour la phase EMDR de l’intervention.
En savoir plus
Références de l’article Quelques observations sur l’EMDR à distance avec les personnes ayant une déficience intellectuelle :
- auteurs : Unwin, G., Stenfert‐Kroese, B., Rogers, G., Swain, S., Hiles, S., Clifford, C., Farrell, D., & Willner, P.
- titre en anglais : Some observations on remote delivery of eye‐movement desensitisation and reprocessing to people with intellectual disabilities.
- publié dans : Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities, 20(2), 205-215
Aller plus loin
Formation(s) : Travailler à distance en thérapie EMDR
Dossier(s) : Association Trauma Aid et EMDR en ligne