Parcours de soin des enfants et adolescents au Centre de Psychotraumatologie Pédiatrique de Nice
Mis à jour le 27 avril 2023
Étude rétrospective sur 3 ans de 866 enfants et adolescents suivis en ambulatoire dans le Centre de Psychotraumatologie Pédiatrique de Nice créé après l’attentat de masse de 2016, un article de Gindt, M., Fernandez, A., Zeghari, R., Ménard, M. L., Nachon, O., Richez, A., Auby, P., Battista, M., & Askenazy, F. , publié dans Frontiers in Psychiatry
Article publié en anglais – accès libre en ligne
Résumé
Contexte
L’attaque terroriste de masse à Nice, en France, en juillet 2016, a causé des décès et des blessures dans une population locale, y compris des enfants et des adolescents. Le Nice Pediatric Psychotrauma Center (NPPC) a été ouvert pour fournir des soins de santé mentale à la population pédiatrique (0-18 ans) qui a subi des événements traumatiques.
Objectifs de l’étude
Cette étude décrit la spécificité du parcours de soins pour les jeunes victimes de traumatismes, avec une explication du fonctionnement du CNPP pendant les trois premières années.
Méthodes
Dans cette étude rétrospective, nous avons recueilli des données quantitatives et qualitatives sur les nouvelles consultations et les consultations de suivi, les diagnostics primaires et comorbides, et le type de traumatisme (attentat terroriste ou autre type de traumatisme). L’approbation éthique a été obtenue auprès du comité d’éthique local.
Résultats de l’étude
866 enfants et adolescents ont été suivis dans le CNPP.
Nous avons constaté un taux élevé de troubles de stress post-traumatique (TSPT ; 71 %) dans cette population avec un taux élevé de comorbidités (67 %), principalement des troubles du sommeil (34,7 %) et des troubles de l’humeur et de l’anxiété (16,2 %).
Un grand nombre d’enfants et d’adolescents touchés par l’attaque terroriste ont dû être suivis en consultation après avoir été exposés à l’attaque terroriste de masse.
Les premières demandes de soins ont continué à se produire trois ans plus tard, bien qu’à un rythme plus lent qu’au cours de la première et de la deuxième année. De nouvelles consultations pour d’autres types de traumatismes ont été observées au fil du temps.
Discussion
Cette étude confirme les résultats précédents sur l’impact significatif des traumatismes de masse dans la population pédiatrique montrant même un niveau plus élevé de TSPT et un taux élevé de comorbidités.
Cela peut s’expliquer par la brutalité de l’événement traumatique, en particulier pour ce groupe d’âge. Les résultats de cette étude ont des implications pour les interventions précoces et les soins à long terme pour les enfants et les adolescents afin de prévenir le développement d’un TSPT chronique à l’âge adulte.
Introduction
L’attentat terroriste de masse perpétré à Nice (France), le soir de la fête de la Bastille, le 14 juillet 2016, est l’un des nombreux attentats terroristes qui se sont produits dans des lieux publics à travers les pays européens au cours des dernières années (1-4). Cette attaque a été perpétrée le jour de la fête nationale française, le jour de la Bastille, traditionnellement célébré par des feux d’artifice sur la célèbre Promenade des Anglais de la ville. Au moment de cet événement d’une violence inouïe, plus de 30 000 personnes se trouvaient dans la zone, dont de nombreux bébés, enfants et adolescents (5). Quatre-vingt-six personnes sont mortes dans l’attentat, dont dix enfants, le plus jeune ayant quatre ans (6). Au moins cinquante-cinq enfants et adolescents ont été endeuillés par ce crime. Ce type d’attentat constitue l’un des plus grands facteurs de stress traumatique existants, avec une intention malveillante, une violence extrême et une nocivité à l’encontre de victimes non préparées. Les attentats terroristes génèrent un stress collectif et une couverture médiatique maximale dans la période qui suit (7). En septembre 2022, plusieurs personnes accusées d’avoir aidé l’agresseur tué lors de l’attentat ont été jugées par un tribunal français spécialisé dans les affaires de terrorisme.
Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est le diagnostic le plus fréquemment rapporté après un événement traumatique (8). Après un attentat terroriste, le taux de TSPT dans la population pédiatrique est très élevé (entre 50 et 75 % des enfants) (9, 10). Les symptômes de reviviscence, les symptômes d’évitement comportemental ou émotionnel, les symptômes d’altération de la cognition et de l’humeur et les symptômes d’excitation sont les quatre principales catégories de symptômes du TSPT (11). Certains de ces symptômes peuvent affecter les capacités d’apprentissage et la qualité de vie de l’enfant (12-14). En outre, les enfants souffrant de TSPT peuvent présenter un intense sentiment de honte par rapport à l’événement, afficher un comportement régressif (énurésie, encoprésie, problèmes d’attachement avec la personne qui s’occupe d’eux et pleurs) ou même faire état de plusieurs plaintes psychosomatiques (15, 16). Ces différents symptômes peuvent altérer leur développement social et affectif. Le TSPT chez l’enfant et l’adolescent peut également entraîner une altération de la personnalité, un niveau d’anxiété élevé et une baisse significative de l’estime de soi (17, 18).
Le TSPT chez les jeunes enfants est souvent accompagné de troubles comorbides, presque dans 75% d’entre eux (19). Les plus fréquents sont les suivants : Le trouble oppositionnel avec provocation (TOP), l’anxiété de séparation et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Il a été rapporté que l’apparition de troubles comorbides influence la sévérité des symptômes du TSPT et leur durabilité (20-23). Néanmoins, une comparaison des estimations de la charge du TSPT avec le coût estimé du traitement de tous les adultes atteints de TSPT avec les traitements recommandés montre la possibilité de réaliser des gains économiques substantiels grâce à l’extension et à l’investissement dans des traitements efficaces fondés sur des données probantes (24). Après un attentat terroriste de masse, les enfants peuvent également développer un deuil traumatique (25), des troubles de l’humeur (26), des troubles anxieux (27), des troubles du comportement (28, 29), des troubles dissociatifs (30) ou des épisodes psychotiques (31).
Les conséquences des symptômes psychiatriques après un attentat terroriste comprennent une baisse généralisée des performances scolaires (32), une augmentation de l’absentéisme scolaire (33) et une altération des croyances dans le système institutionnel (justice ou police) (34). En outre, les enfants exposés à un attentat terroriste présentent un risque plus élevé de réexposition à des événements traumatisants (35). L’exposition à des expériences traumatisantes dans l’enfance est corrélée à des conséquences à l’âge adulte : des conséquences psychiatriques (augmentation de la dépression, des troubles anxieux et du TSPT) (36, 37). Suite à cet événement, un Centre de Psychotraumatologie Pédiatrique a été créé en janvier 2017 à Nice (Nice Pediatric Psychotrauma Center – NPPC) pour proposer une évaluation du psychotraumatisme et une prise en charge spécifique des enfants et adolescents présentant des symptômes psychologiques (38). Le NPPC propose une prise en charge pédiatrique personnalisée et pluridisciplinaire. Le personnel est composé d’un large panel de professionnels, de médecins (psychiatres pour enfants et adolescents et pédiatres), de psychologues, d’ergothérapeutes, d’infirmières et d’assistantes sociales. Le CNPP est l’un des deux chefs de file du Centre de Psychotraumatologie PACACorsica, et fait partie des 15 centres en France labellisés » Psychotraumatologie » (39). Depuis, nos missions sont multiples : prise en charge psychotraumatique d’urgence ; prise en charge psychotraumatique à moyen et long terme ; formation d’étudiants en psychologie, médecine, sophrologie ; enseignement universitaire (département de psychologie, département de médecine, diplôme universitaire de psychotraumatologie) ; formation professionnelle de psychiatres d’enfants et d’adolescents, de psychologues, d’assistantes sociales, de professionnels de l’éducation, des services de la justice, de volontaires des services d’urgence, etc. Cette étude vise à mettre en évidence la spécificité des parcours de soins des enfants et adolescents victimes de traumatismes, en expliquant le fonctionnement du CNPP au cours des trois premières années, ainsi qu’en décrivant les patients accueillis et pris en charge au sein du CNPP.
Matériel et méthodes
De janvier 2017 à décembre 2019, des données qualitatives et quantitatives ont été recueillies rétrospectivement à partir de la file active et du dossier médical du patient NPPC (aux Hôpitaux des enfants de Nice CHU-Lenval) : (1) Événements traumatiques potentiels (DSM 5), (2) Diagnostics DSM-5 (diagnostic principal et diagnostic associé), (3) Nouvelles consultations et (4) Nombre de consultations de suivi.
La liste des événements traumatiques vécus par l’enfant, ainsi que les diagnostics (principal et associé) sont enregistrés à la fin des nouvelles consultations dans le dossier médical informatisé du patient. Les nouvelles consultations sont des consultations primaires au cours desquelles un pédopsychiatre et/ou un psychologue évalue le patient afin de décider de la voie de traitement et de l’orienter vers un suivi psychologique, par exemple. Pour chaque patient, il n’y a qu’une seule autre consultation, même si l’enfant revit un événement traumatique. Les consultations de suivi sont des consultations avec un psychologue, un psychomotricien ou un psychiatre où les patients sont vus régulièrement (par exemple, toutes les semaines ou toutes les deux semaines, tous les mois…). Le nombre de consultations de suivi correspond au nombre de fois qu’un patient est venu au centre et a vu son thérapeute.
L’étude a été réalisée conformément à la Déclaration d’Helsinki de 1964 et à ses amendements ultérieurs, et déclarée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). L’approbation éthique a été obtenue auprès du comité d’éthique local (n° 2021-064).
Les participants
Au cours des trois années qui ont suivi la création du CNPP, 752 patients sont venus pour une nouvelle consultation et 866 patients ont consulté pour un suivi dans le cadre du CNPP (tableau 1). La différence entre ces deux chiffres est liée au fait que certains enfants étaient déjà en suivi régulier lors de la création du CNPP et ont poursuivi leurs soins sans nouvelle consultation. L’âge moyen de cette population pédiatrique est de 10 ans et 4 mois (écart-type = 4,7 ; de 6 mois à 19 ans). La distribution de la variable âge suit la loi normale (test du chi-carré = 122, df = 8, p < 0.001). L’effectif est composé de 51% de filles et de 49% de garçons.
Statistiques
Des analyses descriptives (pourcentage, moyenne et écart-type) ont été effectuées sur le nombre de nouvelles consultations et de consultations de suivi ainsi que sur les diagnostics primaires, les comorbidités et la nature du traumatisme.
Des ANOVA à mesures répétées ont été utilisées pour effectuer les analyses. Nous avons comparé le nombre de nouvelles consultations pour l’attaque terroriste et les autres types de traumatismes par an. Nous avons analysé l’évolution au cours des années du nombre de consultations de suivi pour l’attaque terroriste et les autres types de traumatismes. Les tailles d’effet ont été exprimées en tant que valeurs partielles de l’éta-carré dans le cadre de l’ANOVA à mesures répétées au carré (pes ; petit ≥ 0,01, moyen ≥ 0,06, grand ≥ 0,14).
Résultats
Motifs de consultation
Parmi les 866 patients, 529 ont consulté pour l’attaque terroriste (61,1%) et 337 pour d’autres types de traumatismes (38,9% ; Figure 1), les plus fréquents étant les accidents de la route (15%), le deuil (14%), la migration (12,5%), les agressions physiques et sexuelles (12,5% et 10,5%).
La majorité de ces patients ont reçu un diagnostic de TSPT (71 %) ou de trouble de stress aigu (9 %) de la part des cliniciens. La liste complète des principaux diagnostics est présentée dans le tableau 2.
Les enfants et les adolescents atteints de TSPT présentent un taux élevé de comorbidité (67 %). Le tableau 3 résume les principales comorbidités. Les troubles du sommeil et de l’éveil, l’anxiété et les troubles neurodéveloppementaux sont les trois comorbidités les plus fréquentes, représentant 75 %.
Nouvelle consultation
En ce qui concerne les nouvelles consultations (voir Figure 2), l’analyse de variance à mesures répétées, réalisée entre le groupe (attaque versus autre type de traumatisme) et le temps (2017 vs. 2018 vs. 2019) était significative [F(2, 204) = 27, p < 0.001]. Les nouvelles consultations différaient selon l’année et le type de traumatisme (p < 0,001, pes > 0,49, grand). En 2017, le nombre de nouvelles consultations était significativement plus élevé pour le groupe attaque terroriste (moyenne = 4,3, SD = 2,7) que pour le groupe autre type de traumatisme [moyenne = 1,1, SD = 1,3 ; F(1, 102) = 62,8, p < 0,001]. Les mêmes résultats ont été obtenus pour l’année 2018, avec plus de nouveaux patients pour le groupe des attaques terroristes (moyenne = 3,4, écart-type = 3,3) que pour le groupe des autres types de traumatismes [moyenne = 1,6, écart-type = 1,7 ; F(1, 102) = 11,7, p < 0,001]. En 2019, le nombre de nouveaux consultants était plus élevé dans le groupe des autres types de traumatismes (moyenne = 2,9, écart-type = 2,5) que dans le groupe des attentats terroristes [moyenne = 1,5, écart-type = 1,8 ; F(1, 102) = 11,4, p < 0,001].
Consultations de suivi
L’interaction entre le groupe et la durée des consultations de suivi a donné des résultats significatifs [F(2, 204) = 4,15, p < 0,05, voir figure 3]. Les consultations de suivi ont augmenté au cours des trois années en fonction du type de traumatisme (p < 0,001, pes > 0,64, grand). En 2017, la majorité des suivis concernaient des patients ayant subi un attentat terroriste (moyenne = 18, écart-type = 8,6) par rapport à d’autres types de traumatismes [moyenne = 3, écart-type = 2,7 ; F(1,52) = 138,6, p < 0,001]. Des résultats similaires ont été trouvés pour 2018 et 2019. Le nombre de suivis était significativement plus élevé pour l’attaque terroriste (moyenne = 25 et 32, SD = 11,8 et 3,3) que pour les autres types de traumatismes [moyenne = 8,8 et 22, SD 6,4 et 10,4 ; F(1,52) = 74, p < 0,01 et F(1,52) = 17,4, p < 0,001]. Pour le groupe des attaques terroristes, on a observé une augmentation des consultations de suivi de 2017 à 2018 [F(1, 52) = 23,4, p < 0,001] et de 2018 à 2019 [F(1, 52) = 58,8, p < 0,001]. Les mêmes résultats ont été obtenus pour les autres types de traumatismes avec une augmentation entre 2017 et 2018 [F(1,52) = 15,5, p < 001] pour les consultations de suivi et entre 2018 et 2019 [F(1, 52) = 75,6, p < 0,001].
Discussion
Cet article a pour but de présenter les données relatives à l’activité du Centre de Psychotraumatologie Pédiatrique de Nice (CPPTN) trois ans après la création de l’unité.
866 enfants et adolescents ont été pris en charge au CNPP. Pour la grande majorité d’entre eux, l’événement traumatique à l’origine de la consultation était lié à l’attentat terroriste du 14 juillet 2016. Des patients ayant subi d’autres types d’événements traumatiques (accidents de la route, deuil, migration, etc.) ont également été traités au CNPP. Les principaux diagnostics enregistrés étaient le TSPT (71 %), mais d’autres diagnostics tels que les troubles de stress aigu, le trouble dépressif majeur et le trouble anxieux ont également été enregistrés. En fait, les patients atteints de TSPT présentaient un taux élevé de comorbidité, comme les troubles du sommeil et de l’éveil, l’anxiété et les troubles du développement neurologique.
Les expériences potentiellement traumatisantes sont courantes chez les enfants et les adolescents : 65 % des enfants âgés de 6 à 12 ans subissent un traumatisme ; ce pourcentage atteint 81,5 % chez les 16-18 ans (40), et plus d’un tiers d’entre eux ont subi des traumatismes multiples (41). Parmi les enfants suivis dans le cadre du CNPP, les accidents de la route, les deuils, les migrations traumatisantes, les agressions physiques et sexuelles sont les événements traumatiques les plus fréquents, en dehors de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016. L’exposition à un événement traumatique dans l’enfance est systématiquement associée à des problèmes de santé et de santé mentale plus graves que l’exposition à l’âge adulte (42, 43). Le risque de chronicisation de cette pathologie est d’environ 25 % chez les enfants (44-47), et le taux de rechute atteint 40 % (48, 49).
Au cours des trois premières années d’activité du CNPP, nous avons observé 9 % de réactions de stress aigu et 71 % de TSPT, ce qui est conforme à la littérature, qui fait état d’une prévalence du TSPT comprise entre 20 et 50 % après une exposition traumatique (50-54). Plusieurs facteurs sont impliqués dans le développement du TSPT. Les événements interpersonnels et répétés provoquent trois fois plus de TSPT que les événements non interpersonnels et uniques (55). On sait également que l’âge a une influence sur le développement du trouble traumatique : le risque de TSPT après un événement potentiellement traumatisant est d’environ 39 % pour les enfants d’âge préscolaire et de 27 % pour les adolescents (19).
Parmi les comorbidités associées au TSPT dans notre population, les troubles du sommeil sont fréquents, qu’il s’agisse de cauchemars ou de difficultés d’endormissement. Ces résultats sont cohérents avec les études menées sur l’association entre psychotraumatisme et troubles du sommeil chez l’enfant (56-59). Par ailleurs, les symptômes du TSPT peuvent être internalisés et externalisés chez les enfants ayant subi un traumatisme (60, 61). Les symptômes comportementaux extériorisés peuvent se traduire par un trouble oppositionnel avec provocation, un trouble des conduites et de l’agressivité, tandis que les symptômes comportementaux intériorisés renvoient à des plaintes somatiques, à la dépression ou à l’anxiété (62). Chez les enfants, les troubles comorbides du TSPT sont estimés à 75 % (63). Il peut s’agir de dépression, d’anxiété de séparation, d’anxiété généralisée avec attaques de panique, de troubles de l’attention ou de troubles de l’humeur (19, 64, 65). Les études évaluant l’impact à long terme des événements traumatiques chez les enfants et les adolescents, tels que les catastrophes naturelles, indiquent un taux significatif de TSPT associé à d’autres troubles anxieux ou troubles de l’humeur (66-68). Un trouble comorbide semble influencer l’intensité et le maintien de la symptomatologie du TSPT (22-24).
L’évolution du nombre de nouvelles consultations et de consultations de suivi a également été enregistrée. De 2017 à 2018, la plupart des nouvelles consultations et des suivis au CNPP étaient liés à l’attaque terroriste de 2016. Cependant, en 2019, les nouvelles consultations étaient liées à d’autres types d’événements traumatiques. Le nombre de nouvelles consultations et de suivis a augmenté de manière significative au fil des ans. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs, dont la notoriété du centre, tant auprès des professionnels que du public, ainsi que l’intégration du CNPP dans les parcours de soins proposés par l’hôpital pour enfants. En effet, la création de ce centre a permis aux enfants et aux familles victimes d’un accident de la route, nécessitant une visite à l’hôpital (service des urgences, unité de soins intensifs ou service somatique), d’avoir accès à une équipe formée au psychotraumatisme dès le début de la prise en charge.
Les résultats de notre étude mettent en évidence que le suivi des patients vus pour un attentat terroriste peut s’étendre sur plusieurs années et nécessiter plus de consultations de suivi que les patients vus pour d’autres types de traumatismes. Ce résultat peut s’expliquer par plusieurs hypothèses dont l’acte terroriste lui-même. En effet, les traumatismes intentionnels et violents sont connus pour être les expériences les plus inductrices de TSPT, qui pour 39% des individus atteints de TSPT, montrent une évolution chronique de la condition (69, 70). Une autre explication est liée à la mise en œuvre des parcours de soins et à l’accès aux soins des populations touchées par l’attentat. Actuellement, de nouvelles consultations sont encore effectuées pour l’attaque terroriste. Aucune prise en charge psychologique n’a été entreprise auparavant. Les pathologies sont donc chroniques et fortement associées entre elles, ce qui nécessite une prise en charge plus globale et plus longue. Dans la plupart des pays européens, des sociétés scientifiques liées au stress et au psychotraumatisme ont été créées pour promouvoir les bonnes pratiques cliniques et développer la formation en psychotraumatologie (71). Il existe des lignes directrices pour la prise en charge des traumatismes : par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (72) et l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (73) recommandent des interventions précoces pour les enfants et les adolescents afin de réduire les manifestations cliniques du TSPT. Le stress chronique précoce ne guérit pas naturellement et ses effets semblent s’exacerber avec le temps (74). Il est donc essentiel d’intervenir tôt pour minimiser et réduire les effets négatifs à long terme (75). L’intervention précoce vise à éviter la chronicité du TSPT. Les chances de répondre favorablement à une thérapie diminuent lorsque le TSPT devient chronique (76, 77). Après un tel traumatisme de masse, notre expérience au CNPP souligne la nécessité d’une équipe clinique capable de gérer un afflux massif d’enfants et d’assurer un suivi à long terme. Comme le suggèrent le TSPT Guideline Development Group et le National Collaborating Centre for Mental Health, les soins sociaux et psychologiques doivent aller du confort immédiat et de l’aide pratique au soutien psychologique à plus long terme, qui peut durer 18-24 mois ou plus (78).
En outre, après un traumatisme de masse, l’expérience du CNPP met en évidence la nécessité de consultations pédiatriques spécialisées et d’une communication ciblée pour sensibiliser la population à ces ressources (5). Par ailleurs, les premières consultations ont toujours lieu, ce qui était inattendu et constitue un résultat passionnant à rapporter, même si leur nombre diminue avec le temps, jusqu’à trois ans après l’événement. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce phénomène, notamment l’apparition de symptômes retardés ou de comportements d’évitement. La difficulté d’accès aux soins doit être prise en compte le plus tôt possible après l’événement traumatique afin d’éviter l’errance thérapeutique et de favoriser une organisation proactive des soins. Le TSPT et les comorbidités peuvent persister pendant des décennies (8). Selon ces auteurs, le traitement centré sur le traumatisme et le suivi des maladies médicales chroniques sont des composantes essentielles des programmes de rétablissement. Conformément aux recommandations de l’AACAP, les psychologues du CNPP proposent une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et une désensibilisation et un retraitement par les mouvements oculaires (EMDR), qui semblent réduire de manière significative la peur et l’inquiétude générale chez les adolescents. La TCC donne les résultats les plus significatifs (79, 80). La TCC peut être pratiquée aussi bien avec des enfants qu’avec des adultes et s’est avérée efficace pour un large spectre de troubles psychiatriques, en particulier pour le traitement des troubles anxieux (81, 82).
L’analyse de l’activité du CNPP met également en évidence la nécessité de prendre en charge tout traumatisme dans la population pédiatrique. En raison de la meilleure visibilité du CNPP après trois ans, les demandes de consultations initiales ont augmenté régulièrement chaque année. Pour répondre au nombre croissant de nouvelles consultations et de consultations de suivi, de nouveaux professionnels de la santé et de l’action sociale, y compris ceux ayant une formation complémentaire, ont rejoint l’équipe du CNPP.
Limites de l’étude
L’une des limites de cette étude est que les spécificités des parcours de soins mis en œuvre au CNPP en fonction de l’âge de développement et des caractéristiques cliniques individuelles de chaque enfant ne sont pas décrites ni analysées statistiquement.
Une autre limite est l’absence de comparaison des diagnostics clés et des comorbidités en fonction du type d’événement traumatique : attaque terroriste versus autres événements traumatiques versus événements multiples. Il a été impossible d’effectuer une telle comparaison sur les données des trois premières années ; toutefois, cette comparaison sera effectuée à plus long terme, puisque l’étude est en cours.
Conclusion
L’expérience unique du CNPP met en évidence la nécessité d’une réponse psychologique d’urgence spécifique et le besoin de consultations de suivi multidisciplinaires spécialisées pour les enfants, les adolescents et leurs familles après un événement traumatique. Le type d’expérience traumatique doit être pris en compte dans la prise en charge de l’enfant et de sa famille. Plus les expériences sont violentes et intentionnelles, plus les symptômes peuvent être intenses et hétérogènes et plus la prise en charge doit être longue. Des évaluations standardisées et régulières semblent nécessaires pour fournir des soins personnalisés aux enfants en fonction de leur âge, de leur développement et de leurs symptômes.
L’expérience du CNPP met en évidence la nécessité pour les politiques de santé de créer des centres dédiés à la prise en charge des enfants et des familles touchés par un événement traumatique afin d’éviter les conséquences à long terme, y compris à l’âge adulte.
D’autres études sont nécessaires pour mieux évaluer l’impact d’une prise en charge spécifique par rapport à une prise en charge non spécifique, en fonction des événements traumatiques vécus et de l’âge de développement des jeunes.
En savoir plus
Références de l’article Étude rétrospective sur 3 ans de 866 enfants et adolescents suivis en ambulatoire dans le Centre de Psychotraumatologie Pédiatrique de Nice créé après l’attentat de masse de 2016 :
- auteurs : Gindt, M., Fernandez, A., Zeghari, R., Ménard, M. L., Nachon, O., Richez, A., Auby, P., Battista, M., & Askenazy, F.
- titre en anglais : A 3-year retrospective study of 866 children and adolescent outpatients followed in the Nice Pediatric Psychotrauma Center created after the 2016 mass terror attack
- publié dans : Front Psychiatry, 13, 1010957
- doi : https://doi.org/10.3389/fpsyt.2022.1010957
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