Les traumatismes transmis et leur traitement avec les outils de la psychotraumatologie
Mis à jour le 10 juillet 2024
Un chapitre d’Hélène Dellucci, publié dans les Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, qui nous propose d’approfondir la question des traumatisations transmises.
Article publié en français – accès payant sur le site de l’éditeur
Résumé
Ce chapitre propose, après une définition des notions de traumatisme et de traumatisme complexe, d’approfondir la question des traumatisations transmises : les traumatismes familiaux ou collectifs, les traumatismes transgénérationnels et les traumatismes vicariants.
Nous nous aiderons d’une vignette clinique montrant les implications d’un traumatisme récent sur le plan des liens familiaux, des relations au travail, avec une description du cheminement thérapeutique.
Nous proposerons une lecture phénoménologique des relations interpersonnelles, en termes de relations constructives et non-constructives, qui vont nous guider dans la définition du dispositif thérapeutique.
Nous conclurons par les points clés d’une thérapie incluant les aspects psychotraumatologiques de manière efficace.
Plan
- Définition de la notion de traumatisme
- Vignette clinique : TSPT simple
- Les traumatismes transmis
- Les traumatismes familiaux ou collectifs
- Lecture phénoménologique des liens interpersonnels
- Les traumatismes transgénérationnels
- Les traumatismes vicariants
- Conclusion
Les traumatismes transmis
(…) Les traumatismes transmis se caractérisent par le fait que les effets post-traumatiques d’un événement adverse se retrouve chez plusieurs personnes d’un même groupe, souvent une famille, un couple, une fratrie, mais cela peut aussi concerner une équipe, une classe, un groupe de personnes autour d’une activité commune, un réseau de personnes proches. Nous retrouvons les mêmes symptômes que ceux décrits plus avant, qui s’ils durent dans le temps, amènent des tentatives de compensation à travers l’enchevêtrement dans un premier temps, le désengagement par la suite.
Nous distinguons trois types de traumatisation transmise : les traumatismes familiaux, les traumatismes transgénérationnels et les traumatismes vicariants. (…)
Les traumatismes transgénérationnels
(…) Si les traumatismes familiaux sont caractérisés par le fait qu’ils se sont produits du vivant des personnes constituant la famille ou le groupe, les traumatismes transgénérationnels constituent des blessures émotionnelles portées par des personnes qui n’ont pas vécu elles-mêmes l’événement traumatique, parce qu’elles n’étaient pas encore nées. En psychotraumatologie, ce type de traumatisme est considéré hérité, et comporte une dimension de loyauté importante, souvent mue par une logique du secret. La dimension explicite des événements est souvent absente ou anecdotique, tandis que la dimension implicite est bien présente, perceptible à travers le corps des personnes touchées, avec des perceptions incompréhensibles, des bribes d’images éparses ou des croyances bloquantes. Ainsi, les personnes porteuses d’un ou plusieurs traumatismes transgénérationnels réagissent à des déclencheurs avec une perturbation forte, comme s’ils avaient eux-mêmes traversé les événements difficiles. Dans le traitement de ce type de trauma, le récit doit être reconstruit, au-delà de la désensibilisation, avec une narration qui fait sens et qui apaise. Ce récit, s’il est partagé, permet de transmettre à toute la famille que l’événement du passé est révolu, digéré, invitant les uns et les autres à dépasser l’injonction au secret, rendre possible les changements et prévenir une transmission ultérieure.
Les traumatismes transgénérationnels contiennent leur lot de symptômes additionnels à ceux d’un TSPT. La plupart du temps les symptômes actuels sont vécus comme étant illogiques, sans aucun sens, car ils ne peuvent pas être rattachés à un événement particulier. Nous recherchons la perspective transgénérationnelle à travers tous les symptômes apportés par nos patients, qu’il s’agisse de problématiques d’anxiété, de compulsions, d’autres troubles, et souvent nous trouvons des aïeux ayant déjà été porteurs de cette symptomatologie. Les problématiques d’inceste, de violences domestiques ont rarement commencé à la génération à laquelle nous pouvons les constater chez nos patients aujourd’hui. Outre le questionnement direct, ou la recherche à partir de déclencheurs, de somatisations, de réactions émotionnelles ou corporelles fortes, nous faisons un génogramme centré compétences (Cabié, 2007) auquel nous ajoutons un regard psychotraumatologique. Cette démarche consiste à questionner avant tout les ressources et les qualités des personnes, ce qui n’empêche pas de raconter aussi les choses difficiles. Nous focalisons sur les ressources de survie, c’est-à-dire pour tout événement difficile, nous explorons, comment les personnes ont fait pour se remettre debout, s’entraider, faire face à ce qui est arrivé. Nous n’explorons jamais les détails traumatiques à cette étape, qui est sensée être une démarche de stabilisation. Nous allons plutôt ajouter des exercices de stabilisation pour maintenir le patient dans sa fenêtre de tolérance (Siegel, 1999), c’est-à-dire un état physiologique dans lequel il peut s’apaiser, penser, être en lien avec nous, sans avoir besoin d’avoir recours à des réflexes de fuite, de lutte, de sidération ou de soumission. Nous explorons la qualité des liens, en les conjuguant à la notion de fenêtre de tolérance de Siegel (1999), en tentant de déceler, à côtés des liens apaisés et fonctionnels, les « points chauds » et les « points froids ». Les « points chauds » sont des relations où peut être repérée une hyperactivation, c’est à dire un débordement par le haut par exemple par des colères débordantes, des violences, des conflits, une anxiété non contenue, des intrusions, de l’enchevêtrement, des douleurs qui semblent inconsolables. Les « points froids » à l’inverse sont des relations où l’émotion ne peut être ni vécue, ni partagée, où il y a des défauts d’empathie, un manque de soutien, des ruptures, une absence de parole, parfois assortie d’une règle familiale « on ne se parle pas », ou bien « on ne pose pas de questions ». Ces éléments relationnels, en dehors des événements traumatiques du passé familial nous conduisent à établir un plan de ciblage et de proposer de retraiter ces éléments traumatiques les uns après les autres, tout en accompagnant nos patients dans les changements qui interviennent par la suite. Plus la traumatisation est complexe, plus il y a de symptômes dissociatifs, plus cet abord de la traumatisation transmise doit se faire par petits bouts, car résoudre un trauma transgénérationnel produit un vrai « déverrouillage » de la problématique du patient, et amène de ce fait un cortège de modifications, qui en soi peuvent être générateurs d’une crise du changement, qui mérite d’être accompagnée.
Pour approfondir la lecture autour de la prise en charge et du traitement des traumatismes transgénérationnels, voir Dellucci & Vojtova (2022).
En savoir plus
Références de l’article Les traumatismes transmis et leur traitement avec les outils de la psychotraumatologie :
- auteurs : Dellucci, H.
- titre : Les traumatismes transmis et leur traitement avec les outils de la psychotraumatologie
- publié dans : Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, (1), 139-157.
Aller plus loin
Formation(s) :
- De la prise en compte à la prise en charge des traumatismes transgénérationnels en EMDR
- Formation en psychotraumatologie
Dossier(s) : Dossier Traumas transgénérationnels et EMDR