Les rescapés vont devoir vivre avec ça, ils n’ont pas le choix
Mis à jour le 5 octobre 2022
Article « Les rescapés vont devoir vivre avec ça, ils n’ont pas le choix », de Sylvie Montaron, publié sur le site du Progrès
Traumatisme. Six Lyonnais rescapés du Bataclan ont pris contact avec la cellule d’urgence médico-psychologique basée aux Hospices civils de Lyon.
Parmi les Lyonnais rescapés du Bataclan, certains sont rentrés directement à Lyon sans voir personne… Et puis, ils ont voulu « être utiles à l’enquête » et sont allés dans un commissariat. C’est là qu’on les a orientés vers la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), basée à l’hôpital Edouard-Herriot.
Créées après les attentats de 1995, ces structures interviennent sur les catastrophes. « Nous sommes intervenus sur l’explosion d’AZF à Toulouse, le crash du Concorde, mais là, c’est l’extrême ! On est dans un truc qu’on ne connaît pas. On dit : c’est la guerre mais dans la guerre, les gens savent qu’ils peuvent se faire tuer dans la rue. Là, ils ont tous mis un moment avant de comprendre », analyse le Dr Nathalie Prieto, responsable de la CUMP de Lyon, qui a rencontré lundi trois rescapés – elle en verra six cette semaine -, tandis que huit de ses collaborateurs sont intervenus à Paris.
Parmi les trois rescapés lyonnais, l’un est resté caché sous des morts pendant des heures.
Lundi, « il n’était pas encore ‘‘redescendu’’. Il était comme deux heures après s’en être sorti, se disant : je suis en vie ! Et en même temps : avec ce que j’ai vu, ce n’est pas possible que j’aille bien. Faites quelque chose ! C’est vrai qu’il faut surveiller cette descente, mais elle ne va pas forcément mal se passer », explique le Dr Prieto.
A contrario, une jeune femme a réussi à s’échapper très vite mais a continué à courir longtemps dans la rue. « J’attendais la balle », a-t-elle raconté à la psychiatre, tandis que la troisième victime a cherché un sens à l’absurde en se disant : « C’est bien fait pour moi. Pourquoi tu vas à un concert ? »
Comment vont-ils s’en sortir ? « Ils vont devoir vivre avec ça. Ils n’ont pas le choix. Nous, on les aide au mieux », explique le Dr Prieto. Si le pronostic est impossible, elle l’estime cependant plutôt bon en raison du profil des victimes : des trentenaires bien insérés professionnellement et socialement, ayant accès aux soins et sans antécédent. Il faut une ou deux séances pour évaluer le risque de stress post-traumatique. S’il n’y a pas de signe inquiétant, « il y aura un mouvement dépressif, des passages difficiles mais ils peuvent s’en sortir seuls avec leur entourage. On leur dira juste : revenez si vous n’arrivez pas à surmonter ça ou si vous voulez faire le point », précise le Dr Prieto. En cas de cauchemars, de sursauts, d’irritabilité, de flashs et de peur permanente, il faut en revanche une prise en charge très rapide. Elle peut se faire par des entretiens, un traitement médicamenteux ou l’EMDR, une technique de désensibilisation passant par le mouvement des yeux, recommandée par l’OMS dans ce traumatisme.
L’essentiel est d’agir vite pour que ne s’installe pas cette pathologie très invalidante qui désocialise. « Les gens ne sont plus entourés en raison de leurs troubles de caractère et parce qu’au bout d’un moment on se dit ‘‘Ça va maintenant’’ ! Comme après Charlie… », remarque Nathalie Prieto.
Comme après Charlie, les psychiatres savent que les images et le contexte vont accroître les phénomènes de décompensation chez leurs patients les plus fragiles, simples téléspectateurs du drame. Les consultations et passages aux urgences risquent d’augmenter dans les semaines qui viennent.