Les intervenants d’aide de deuxième ligne face aux victimes d’attentat
Mis à jour le 10 octobre 2022
Un article d’Evelyne Josse sur sur le thème Les intervenants d’aide de deuxième ligne face aux victimes d’attentat.
Les aidants de deuxième ligne
Nous l’avons vu dans un article précédent [1], il existe deux niveaux d’intervention auprès des victimes d’attentat. La première ligne implique les aidants en contact direct avec les victimes en situation de crise et dans son décours immédiat. La deuxième ligne concerne les professionnels intervenant dans un second temps, à distance de la crise, en institution ou en cabinet. Parmi ceux-ci, on compte les psychologues et les psychiatres, les avocats, les magistrats, les agents de police de commissariat, etc.
Une souffrance spécifique
Les ondes de choc du trauma
On peut se représenter le traumatisme comme un tremblement de terre dont l’attentat terroriste constitue l’épicentre. Les ondes de choc se propagent en cercles concentriques à partir de l’événement traumatisant tout en diminuant d’intensité à mesure qu’elles s’en éloignent. La victime directe se situe dans le foyer du séisme et les ondes de choc bouleversent progressivement son entourage ainsi que les intervenants qu’elle rencontre durant et après la crise.
La traumatisation tertiaire : le traumatisme vicariant et la fatigue de compassion
Rappelons que la traumatisation secondaire constitue la première onde de choc du traumatisme et concerne les aidants de première ligne en contact direct avec la victime [2]. La seconde onde de choc touche les intervenants de deuxième ligne en relation avec les victimes directes et leurs proches en détresse. Parmi ceux-ci, on compte, au niveau professionnel, les policiers de commissariat, les enquêteurs, les avocats, les magistrats, les professionnels de la santé mentale (psychothérapeutes, psychologues, psychiatres) exerçant en cabinet ou au sein d’institutions, etc.
La traumatisation vicariante
Les intervenants de deuxième ligne n’ont pas vécu ni été témoins des actes terroristes mais ils sont concernés par eux et/ou par leurs conséquences du fait de leur proximité émotionnelle avec les victimes directes et avec leurs proches. En s’engageant auprès d’eux, ils sont confrontés à la souffrance mystérieuse des victimes, à leurs témoignages poignants ou à leur silence persistant. Ces situations qui leur font éprouver des émotions intenses peuvent induire chez eux une souffrance psychologique, plus ou moins intense et plus ou moins tardive, appelée traumatisation vicariante ou traumatisme vicariant. Lorsqu’ils souffrent de tels troubles, les intervenants sont considérés comme des victimes tertiaires.
En 1988, Miller, Stiff et Ellis définissent le concept de contagion émotionnelle. Selon ces auteurs, il s’agit du processus affectif par lequel un individu observant l’expérience émotionnelle d’une autre personne répond de manière parallèle aux réponses actuelles ou anticipées de la personne en souffrance [3]. En 1990, McCann et Pearlman définissent une notion similaire, celle de la traumatisation vicariante, qu’ils entendent comme les changements profonds subis par le thérapeute ou le travailleur qui établit des rapports d’empathie avec les survivants de traumatismes et est exposé à leurs expériences [4]. Le terme « vicariant », issu du latin « vicarius », signifie « qui prend la place d’un autre », désigne un organe ou une fonction qui joue le rôle d’un autre organe ou d’une autre fonction déficients. Par extension, il désigne ce qui est acquis ou appris par observation. Quelques années plus tard, Saakvitne et Pearlman précisent que la traumatisation vicariante entraîne des changements cumulatifs qui surviennent chez le travailleur intervenant auprès de survivants d’incidents traumatiques [5]. Pour résumer, nous proposons la définition suivante : on entend par traumatisme vicariant les changements profonds et cumulatifs présentés par un sujet en contact avec des personnes en détresse, au niveau privé ou professionnel, et résultant de la surcharge émotionnelle induite par empathie ou sympathie.
La fatigue de compassion
Les effets de la traumatisation vicariante se cumulent avec le temps. Dans sa forme ultime, elle conduit à la fatigue de compassion, également nommée usure de compassion. La compassion est un sentiment qui porte à percevoir ou à ressentir la souffrance d’autrui et pousse à y remédier.
La traumatisation vicariante et la fatigue de compassion ont pour effet majeur une modification de la vision de soi et du monde : perte du sentiment de sécurité et de confiance, perte de la capacité à être en connexion avec les autres, désespoir, cynisme, désillusion, perte de l’estime de soi, négativité au travail, tendance au blâme, identification à la victime, etc.
Les facteurs de traumatisation tertiaire
Les facteurs personnels
Les personnes dévouées par nature et spontanément très investies dans la relation sont plus à risque de développer une traumatisation vicariante. L’altruisme et l’abnégation les conduisent à s’effacer et à se dépasser au mépris de leur besoin de repos et de détente. Il en est de même pour les personnes mues par une conscience professionnelle extrême qui les pousse à dépasser le seuil physiquement acceptable. La demande est tellement pressante qu’elles peinent à respecter des horaires de travail raisonnables et à s’accorder des jours de relâche [6]. Le besoin de reconnaissance, de valorisation, de gratification ou d’être apprécié à hauteur de son dévouement peut également contribuer à les faire passer au-delà de leurs limites.
Devant la souffrance effroyable des victimes et de leur entourage, les aidants peuvent se sentir démunis et déficients à leur fournir un soutien efficace. Plus ils surestiment leur responsabilité à soulager les personnes en détresse, plus ils risquent de souffrir d’un sentiment d’impuissance et d’inefficacité. Les efforts qu’ils fournissent et les actions qu’ils mènent pour réduire leur souffrance leur semble insuffisants et inopérants.
La solitude existentielle et le sentiment d’isolement psychoaffectif, les difficultés personnelles, la résonance particulière que certaines situations revêtent à un moment de leur histoire ainsi que la réactivation de traumatismes personnels antérieurs peuvent également fragiliser les aidants [7].
Les facteurs professionnels
Recueillir de façon répétée le témoignage des victimes exprimant la souffrance, la terreur, le chagrin, la détresse, l’horreur, l’injustice, constitue le facteur professionnel fondamental à l’origine de la traumatisation vicariante. Ils confrontent les intervenants avec le côté sombre de l’âme humaine tels la violence, la cruauté, la sauvagerie, la férocité, la méchanceté, la vengeance, l’injustice, etc. [8]
Les facteurs liés aux victimes
En raison de la peur et de la souffrance, les victimes nourrissent souvent des attentes élevées, voire irréalistes, investissant les intervenants d’une toute-puissance. Dès lors, elles peuvent prendre une posture régressive, être en attente d’une relation « maternante », devenir « dépendantes » affectivement du thérapeute et se montrer envahissantes, par exemple, en le contactant fréquemment. Parfois aussi, elles sont exigeantes ou agressives et manifestent vivement leur insatisfaction. Toutes ces situations sont génératrices de stress pour les aidants. La plus éprouvante reste toutefois celles impliquant des personnes se mettant délibérément en danger, adoptant des conduites à risque, s’automutilant ou menaçant de se suicider.
Le processus vicariant
La traumatisation vicariante relève d’un double processus : d’une réaction aux personnes en détresse et d’une réaction aux événements.
Les réactions aux personnes en détresse
Pour créer un lien de confiance, les intervenants doivent faire preuve d’empathie envers les victimes et leurs proches en détresse, c’est-à-dire adopter vis-à-vis d’eux une attitude qui les rend capables de saisir ce qu’ils vivent émotionnellement. Face aux émotions violentes, le risque existe de glisser de l’empathie à la sympathie, voire à la compassion et à la commisération. Ce faisant, les aidants entrent en résonance avec le vécu de ceux auxquels ils apportent leur soutien. Dès lors, ils ne sont plus seulement conscients des émotions de ces derniers mais ils en sont atteints. Ils reproduisent, pratiquement à l’identique, ces émotions sans mesure, qui ne sont pas les leurs mais celles d’autrui. Plus le degré d’exposition aux personnes en détresse est important, plus ils risquent de partager leur insécurité et leur tristesse.
Les aidants perçoivent et ressentent la souffrance des aidés par contagion empathique de leur vécu (contagion « cognitive », « imaginative »), voire par contagion sympathique (contagion « émotionnelle »). Les témoignages poignants d’événements traumatiques sont porteurs de paroles « actives » et « agissantes » possédant un potentiel traumatogène. Ces récits ont la capacité de transmettre à leurs auditeurs des émotions fortes telles que l’horreur, la peur, la terreur, l’angoisse, l’impuissance, la colère, les sentiments de culpabilité, etc. Ceux-ci sont mémorisés avec leur charge émotionnelle sous forme de films intérieurs qui constituent des souvenirs pour les aidants.
Les réactions par rapport aux faits
Confrontés aux actes terroristes, les aidants réagissent à la souffrance des victimes mais également aux faits eux-mêmes. Le terrorisme frappe aveuglément et cruellement des innocents. Il remet en question l’État de droit, la démocratie, les droits fondamentaux de liberté d’expression, d’action et de déplacement, l’organisation sociale, institutionnelle et politique de la société, la sécurité, les fondements philosophiques, etc. Comme tout un chacun, devant de tels faits, les aidants sont profondément touchés, horrifiés, apeurés, en colère, etc. et amenés à se positionner en tant qu’être humain, citoyen et acteur social.
Références bibliographiques de l’article Les intervenants d’aide de deuxième ligne face aux victimes d’attentat
Josse E. (2015), « Le personnel de secours et les aidants de première ligne face aux victimes d’attentats », http://www.resilience-psy.com/spip.php?article267
Josse E. (2014), Le traumatisme psychique chez l’adulte, De Boeck Université, coll. Ouvertures Psychologiques.
Josse E. (2011), Le traumatisme psychique des nourrissons, des enfants et des adolescents, De Boeck Université, Coll. Le point sur, Bruxelles
Josse E., Dubois V. (2009), Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, De Boeck Université, Bruxelles.
Josse E. (2007), Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne dans la guérison du traumatisme psychique, La Méridienne-Desclée De Brouwer Editeurs, Paris
McCann I. L., Pearlman L. A. (1990), “Vicarious traumatization : A framework for understanding the psychological effects of working with victims”, Journal of Traumatic Stress, 3:2, 131-149.
Miller K. I., Stiff J. B., Ellis B. H. (1988), “Communication and empathy as precursors to burnout among human service workers”, Communication Monographs, 55(9), 336-341.
Pearlman L A., Saakvitne, K. W. (1995), “Treating therapists with vicarious traumatization and secondary traumatic stress disorders”, In C. R. Figley (Ed.), Compassion fatigue : Coping with secondary traumatic stress disorders in those who treat the traumatized, 150-177, NY : Brunner/Mazel.
Nos articles sur ce thème :
- Article Comment réagissent les victimes d’attentat ?
- Article Le traumatisme psychique
- Article Quels sont les événements traumatisants ?
- Article La prise en charge des victimes d’attentat
- Article Dans quels cas faut-il intervenir en EMDR lors de trauma récent ?
- Article Protocoles EMDR ERP et EMDR-ER
- Article Protocoles EMDR pour les situations d’urgence en individuel
- Article Protocoles EMDR pour les situations d’urgence en groupe
- Article Actions mises en place suite aux attentats
- Consultez tous les articles du dossier EMDR pour le trauma récent