L’EMDR, une nouvelle «turbothérapie»
Mis à jour le 25 septembre 2011
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Mai 1999
Confiante, Jennifer suit du regard la baguette du thérapeute qui oscille devant son visage. Elle se concentre sur la sensation d’étouffement dans sa gorge et sa poitrine, pour laquelle elle est venue consulter. Ses yeux roulent rapidement de droite à gauche. C’est leur mouvement naturel au cours du sommeil paradoxal, celui qui met en scène nos rêves et qu’on appelle aussi le sommeil REM (« Rapid Eye Movements « ou mouvements oculaires rapides). Dix secondes plus tard, Jennifer s’enfonce dans le fauteuil comme pour s’y cacher, les mains accrochées aux accoudoirs. Sa respiration s’accélère brutalement et une expression de terreur infantile déforme les traits de son visage. Elle crie : « Va-t-en Papa, va-t-en ! Laisse-moi ! « Ses yeux suivent toujours la baguette. Penchée en avant, elle a un peu de mal à respirer. Encore dix secondes, vingt, trente ! Son cœur doit battre à plus de 150 ! Peut-il soutenir cet effort ? Soudain elle respire mieux. La peur semble s’éloigner. Un sourire s’ébauche sur ses lèvres. Encore cinq secondes et la baguette s’arrête. « Respirez profondément… Et maintenant, dites-moi ce que vous avez observé…
— Mon père s’approchait de moi pour me frapper. J’étais cachée sous le lit et je ne voyais que ses immenses chaussures. Je lui criais de me laisser tranquille. C’était interminable. Puis, tout d’un coup, nous étions ensemble sur un banc, il me parlait, il me faisait rire. Et une pensée m’a traversée : sans doute ne savait-il pas comment nous punir, nous ses enfants. Il ne faisait que répéter les gestes qu’on lui avait appris quand il était petit garçon. Au fond, ça le faisait souffrir autant que nous, autant que moi.
— Et comment vous sentez-vous maintenant ?
— Mieux, même bien. Je n’ai plus cette sensation d’étouffement. C’est fini. Je ne sais pas comment j’ai pu laisser ça empoisonner toute ma vie ! «
L’EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing «) est le traitement le plus controversé depuis la révolution de la psychanalyse et celle, plus récente, des antidépresseurs. Dans les années 80, une étudiante en doctorat à Menlo Park, Francine Shapiro, a découvert que les mouvements oculaires rapides permettaient d’atténuer des souvenirs traumatiques en les remplaçant par des images et des pensées nouvelles. Quinze ans de recherche plus tard, les résultats de l’EMDR pour traiter les troubles post-traumatiques sévères se révèlent supérieurs à ceux des médicaments, et beaucoup plus rapides que les psychothérapies classiques ou comportementales. Névroses de guerre, conséquences d’un viol, d’un séisme ou d’un accident : 80 % des sujets se disent guéris en trois séances. Ensuite, un suivi de quinze mois montre que les effets bénéfiques persistent bien au-delà du traitement.
Comment est-ce possible ? Les traumatismes violents créent des souvenirs dits « anormaux « (des images, des sons ou des sensations corporelles) que le cerveau a du mal à assimiler. Codés sous une forme sensorielle plutôt que cognitive, ils peuvent être réactivés à tout moment. Ils sont souvent sans mots qui permettraient de replacer l’événement dans des dimensions humaines, avec un passé et un futur. En synchronisant l’activité des deux hémisphères cérébraux – aires sensorielles et cognitives –, les mouvements oculaires rapides permettraient de reconnecter les émotions primaires du traumatisme (le « souvenir photographique «) avec la sagesse de la pensée et du langage. En facilitant ce contact, l’EMDR s’apparenterait à une forme accélérée de la « cure par la parole «. Une sorte de « turbothérapie «, avènement – enfin ! – des prophéties de Pierre Janet et Sigmund Freud. Ils avaient, les premiers, reconnu l’origine traumatique de nombreux symptômes psychiatriques, et réfléchi à leur empreinte neurologique. Freud aurait aimé. Si les rêves sont « la voie royale de l’inconscient «, quoi de plus naturel que de trouver dans leur physiologie les clés de la transformation ?