La souffrance au travail chez les jeunes : burn-in, burn-out, bore-out, brown-out

Mis à jour le 22 août 2023

Burn-out, burn-in, bore-out, brown out… Quand l’épuisement professionnel touche les jeunes à l’aube de leur vie professionnelle…
A ce jour, le burn-out ne figure pas dans la nosographie américaine DSM. La CIM, dans sa 11e version validée en mai 2019 et d’application au 1er janvier 2022 reconnaît le burn-out, mais comme un « phénomène » ou un « problème » et non comme un trouble mental. Or, l’épuisement professionnel est coûteux tant pour les entreprises que pour la société. Quels sont les facteurs spécifiques entraînant la souffrance au travail chez les jeunes ? Comment se manifeste leur souffrance ? Comment s’en sortent-ils ?
Un article d’Evelyne Josse avec les témoignages de Léa, Amandine, Tiana, Lila, Kate, … (noms d’emprunt)


Pouvez-vous expliquer en quelques mots ce qu’on entend par burn-in et par burn-out ?

Le burn-in constitue la première phase de l’épuisement professionnel et précède l’étape ultime, le burn-out. Il se manifeste principalement par un « présentéisme ». En anglais, « presenteeism » signifie « être présent ». Dans le monde professionnel, ce terme s’oppose à « absentéisme ». D’abord connoté positivement, « présentéisme » a acquis l’acception américaine dans les années 1990. Il désigne désormais une présence abusive menant à un état pathologique de surmenage. Le travailleur en burn-in est physiquement à son poste mais démotivé, fatigué, peu productif et souffrant de somatisations diverses et mineures. Le burn-out désigne quant à lui un état d’épuisement mental, émotionnel et physique, dans lequel les mécanismes d’adaptation se consument sous l’effet de tensions subies dans le cadre du travail.

Le burn-in et le burn-out sont-ils des phénomènes répandus chez les jeunes ?

Le burn-in et le burn-out sont deux aspects de la souffrance au travail mais il en existe d’autres. Nous avons peu de données permettant de nous représenter l’étendue réelle du problème de la souffrance au travail. D’après une étude menée en 2014 par le cabinet Technologia, 16% des 15-29 ans présentent déjà au moins un symptôme d’épuisement professionnel ; 64% des 18-34 ans affirment être stressés au travail et 12% d’entre eux déclarent se sentir vidés affectivement par leur travail [1]. Ces statistiques semblent indiquer que les jeunes sont à risque de souffrir de leur travail dès leurs premières expériences en qualité de stagiaires ou de jobistes [2].

Quelles sont les autres formes de souffrance au travail ?

Ces dernières décennies, le monde professionnel a vu émerger les concepts de flame-out, bore-out, brown-out et blurring.
Le flame-out est un épuisement professionnel apparaissant brutalement, par exemple après une période de manque de sommeil et de détente ou de carence alimentaire. Le bore-out est un syndrome induit par l’ennui, l’absence de défis et le désintérêt. Le brown-out résulte d’un sentiment d’inutilité, d’un choc de valeurs ou de conflits éthiques vécus dans la vie professionnelle. Enfin, le blur-out ou blurring désigne la souffrance induite par l’estompement de la limite entre vie professionnelle et vie privée, principalement liée à l’avènement des technologies numériques, mais également au développement du travail indépendant et à distance. Durant son temps de travail, le professionnel répond à des exigences d’ordre privé (achats en ligne, e-mails privés, réseaux sociaux, etc.) et durant son temps libre, il s’acquitte de tâches professionnelles (par exemple, e-mails professionnels).

Les jeunes sont-ils plus susceptibles que leurs aînés d’être concernés par ces différentes formes d’épuisement professionnel ? Si oui, pourquoi ?

Oui et non. Chaque âge à ses risques par rapport à l’épuisement professionnel.
D’une façon générale, nous pouvons affirmer que nous ne sommes pas égaux face au stress. Les réactions au stress peuvent être comparées à ce qui se passe à bord d’un bateau lors d’une traversée sur une mer houleuse. Tous les passagers n’ont pas les mêmes réactions. Certains souffrent du mal de mer et sont très malades, d’autres le sont moins, d’autres ne le sont pas du tout. Par ailleurs, certaines vagues, quoique moins hautes que d’autres, peuvent provoquer davantage de nausées. En ce qui concerne les jeunes, surtout s’ils sont inexpérimentés, ils sont plus à risque que leurs ainés de développer des réponses inadaptées au stress. En filant la métaphore du bateau, nous pouvons dire que le jeune moussaillon est plus à risque de souffrir du mal de mer que le vieux loup de mer au pied marin. Dans les faits, on constate d’ailleurs que les jeunes sont souvent plus rapidement atteints par la souffrance au travail que leurs aînés.
Quand on débute sa vie professionnelle, on est confronté à un stress qu’on appelle le stress de base. Ce stress de base, c’est le prix de l’effort consenti pour intégrer et s’adapter à une nouvelle situation. Il est provoqué par tout changement survenant dans l’environnement quotidien, le mode de vie et/ou les habitudes. Un nouvel emploi, surtout si c’est le premier, est une situation pour laquelle les jeunes doivent fournir un effort d’adaptation important. Après une possible période d’euphorie et d’enthousiasme comparable à une lune de miel, ils peuvent éprouver des difficultés parce que leur mode de vie est modifié, parce qu’ils doivent assimiler de nombreuses informations, etc. Durant cette période d’adaptation, ils peuvent vivre alternativement des moments d’enthousiasme et de désarroi, ressentir des inquiétudes, des contrariétés et des frustrations diverses. Mais les aînés ne sont pas épargnés par le stress de base. Une promotion, des changements nombreux et soudains (turn-over, informatisation, nouvelles thématiques, etc.), etc. sont autant de situations auxquelles ils doivent faire face et auxquelles ils doivent s’adapter rapidement. Ce stress de base n’est ni du burn-in ni du burn-out, mais il s’ajoute aux autres facteurs de stress. À l’instar d’une calculatrice, le stress additionne tout. Plus le jeune est soumis à des facteurs de stress, plus il risque de manifester une souffrance au travail.
L’épuisement professionnel est le résultat d’interactions complexes multifactorielles, additionnelles et interactives entre un individu et son environnement ; l’un et l’autre s’influençant mutuellement et continuellement. Les facteurs personnels et organisationnels s’enchevêtrent et contribuent à la détresse au travail. Pour commencer, parlons des facteurs personnels. Les jeunes diplômés arrivent parfois sur le marché du travail épuisés par leurs études. Aude explique : « Au tout début de mon activité, il y a un an à peu près, j’ai senti que je pétais les plombs. Je sentais déjà depuis quelques temps que j’étais submergée et on dirait que mon cerveau a attendu la fin de mes études pour lâcher. Coïncidence ou pas, j’ai même déclenché de la fièvre un mois après la remise des diplômes. Après des examens médicaux en tout genre, tous négatifs, la seule explication plausible à cette fièvre est le stress et le contre-coup des 5 années d’études intenses. La fièvre plus la sensation d’être débordée n’ont pas fait bon ménage avec mon installation en libéral. J’avais l’impression de crouler sous les choses administratives à faire, j’avais la sensation de ne pas en voir le bout. J’avais mes premiers patient.e.s et après une consultation, je me sentais complètement vidée. Et pourtant, je sentais que j’étais à ma place, mais je n’avais juste plus aucune énergie. Ce qui rendait chaque chose épuisante. »
Les jeunes adoptent moins fréquemment que leurs aînés un mode de vie équilibré. Or, nos capacités d’auto-ressourcement dépendent de notre hygiène de vie. Faire du sport, s’alimenter sainement et se reposer suffisamment permet de ménager et de restaurer nos forces physiques, mentales et émotionnelles. Si certains jeunes s’alimentent sainement, d’autres sautent régulièrement des repas ou avalent sur le pouce des pizzas et de fast-food et consomment de grandes quantités de boissons sucrées. Une étude menée par l’INPES le confirme, leur alimentation s’éloigne davantage des recommandations nutritionnelles que celle de leurs ainés [3]. De plus, ils ne dorment généralement pas suffisamment. D’après la recherche de l’INSV et de la MGEN, leur dette de sommeil s’élèverait à plus d’une heure par nuit [4]. Leur vie sociale trépidante empiète fréquemment sur leurs heures de repos et la détente procurée par les écrans (films, séries, réseaux sociaux, etc.) se gagne au détriment de leur sommeil. Une situation financière saine fait également partie de l’équilibre de vie. Or, les jeunes rencontrent fréquemment des difficultés pécuniaires. Alors que leur salaire est souvent modeste en début de carrière, des emprunts et des loyers élevés alourdissent les charges qui pèsent sur leur budget. Les relations familiales et amicales contribuent également à l’équilibre psychologique et au bien-être. Or, de plus en plus de jeunes en quête d’un travail quittent leur région d’origine. Ils se retrouvent alors privés de leur source de réconfort et doivent reconstruire tout un réseau social.
Toujours du côté des facteurs personnels, certains traits de personnalité participent au risque de développer un burn-in ou un burn-out. Les personnes les plus à risque manifestent un attrait pour la nouveauté et un besoin de maîtrise de leur vie. Elles sont souvent mues par un idéal professionnel élevé et sont généralement perfectionnistes. Pour certaines d’entre elles, un piège réside dans l’excitation induite par les challenges professionnels. Drogués par leur propre adrénaline, elles ont tendance à vouloir la prolonger et passent à la phase de stress dépassé sans en avoir perçu les signaux avertisseurs.
Quant aux facteurs organisationnels, citons le fréquent décalage entre les aspirations des jeunes professionnels, certes parfois irréalistes, et les missions qui leur sont attribuées. Ils se retrouvent souvent relégués à exécuter des tâches ingrates et sans intérêt. Dès lors, ils s’ennuient ou perçoivent leur travail comme incohérent, inefficace ou inutile. À terme, ils risquent de souffrir de bore-out ou de brown-out. Kate témoigne : « J’avais 25 ans. Il y a eu le bizutage : compter les glaçons, faire des tâches ingrates que personne ne voulait faire comme nettoyer les toilettes, aller chercher les pertes dans les poubelles de la cuisine à main nue. On me faisait faire des taches inadaptées à ma carrure. Je suis mince et peu musclée et je devais porter de lourdes charges. Je me faisais engueuler quand je ne remontais pas les charges assez vite… « Va falloir se muscler. » Depuis, j’ai une hernie discale. Et on m’a fait nettoyer l’arrière de la friteuse lorsqu’elle était en marche, avec risque de brûlure et d’électrocution… J’étais la plus mince, donc je pouvais facilement me faufiler parait-il… » Auparavant, les jeunes s’acquittaient certes de tâches déplaisantes et ennuyeuses mais ils pouvaient nourrir des espoirs d’avancement. Lorsqu’on était méritant, on pouvait espérer grandir au sein de l’entreprise. C’est moins le cas aujourd’hui. Ce manque de perspective positive joue un rôle non négligeable dans l’acceptation de situations adverses.
Autre facteur de stress, la surcharge de travail. Elle est fréquente chez les jeunes qui travaillent tout en poursuivant leurs études. Lila se souvient : « J’ai commencé un CDI temps plein et en parallèle, j’ai continué à travailler pour mon master. Pendant six mois, je n’ai pas eu une seule minute de temps libre car je bossais tous les soirs et week-ends pour préparer mon jury de fin d’études ». Léa a 26 ans lorsqu’elle décroche son premier emploi. Elle témoigne : « Ma chef d’agence m’envahissait de mails. On me demandait toujours plus. On me demandait de faire ci, de faire ça au point que mes horaires dépassaient toutes les limites et que je me sentais obligée d’aller travailler le mercredi malgré l’accord du 80%. » L’histoire de Mélanie illustre parfaitement le proverbe « A force de charger la mule, on finit par la tuer » : « Mon patron m’a proposé de gérer de l’immobilier avec lui, également, en plus du commercial. Je me suis dit que c’était une bonne opportunité d’apprendre plus et de me dépasser. J’ai été jetée dans la fosse aux lions si je puis dire. Et puis, je réussissais. Je voyais que je faisais plaisir en réussissant et je pensais que cela me construisait. J’ai commencé à perdre pied à ce moment-là, sans m’en rendre compte, entre l’agence à gérer, le commercial et l’immobilier qui était à une heure de route de chez moi. Je devenais une machine. J’abattais le travail, je rentrais tard. Puis, j’ai commencé à avoir des reproches. Je n’en faisais jamais assez, jamais assez bien, je prenais pour le travail mal fait des autres. On me demandait encore plus car soi-disant j’étais capable. J’ai commencé à oublier des choses, sommeil compliqué, culpabilité, à pleurer et à avoir peur dès que mon téléphone sonnait, peur de me faire reprocher le mauvais travail des autres. Je vivais dans la peur permanente et cela a bien duré deux ans comme cela. J’étais également fatiguée au réveil et quand j’étais malade, je continuais, comme une machine, avec la peur au ventre. » Parce qu’ils sont jeunes, parce qu’ils sont les derniers arrivés, parce qu’ils sont célibataires et sans enfants, les supérieurs attendent parfois d’eux qu’ils prestent des heures supplémentaires. De plus, ils sont souvent à leur poste durant les congés scolaires lorsque les équipes sont en sous-effectif et sous pression et plus souvent que leurs aînées, ils sont appelés à remplacer dans l’urgence un collègue absent. Kate explique : « On n’arrêtait pas de m’ajouter des heures. Ce qui m’a fait basculer, c’était la cadence. Je ne m’en suis pas trop rendu compte au début…, mais progressivement le travail m’a isolée de la vie sociale. J’avais un contrat de 25 heures semaine, mais j’en faisais bien plus. On me mettait des heures supplémentaires non payés pour « dépanner » l’entreprise, car il y avait beaucoup d’absences. Un jour, j’avais fait une journée entière. Je devais finir à 16 heures. On m’a prévenue à 15 heures que je devais faire la fermeture à 23 heures. On ne finissait jamais avant 1 heure du matin ; on n’avait jamais fini à l’heure. On me disait : « Tous les autres ont des choses prévues ce soir. Tu es la seule. » J’étais obligée d’accepter si je voulais garder le travail…. Je n’arrivais pas à dormir, j’étais incapable de m’arrêter… J’avais la cadence en moi, et j’avais peur de la perdre pendant la nuit si je me relaxais… Le travail chez (chaîne de fast-food), c’est un peu comme à l’usine : on pointe en entrant, et en sortant et on nous crie dessus à longueur de journée. On devait se dépêcher, tout le temps, même quand il n’y avait aucun client. Il fallait qu’on soit toujours en mouvement à faire quelque chose. Le directeur du (chaîne de fast-food) était là, bras croisés au comptoir ou en salle à nous surveiller. Il fallait se dépêcher, être efficace, moins de deux minutes par client pour l’encaissement, la prise de commande et donner la commande, et en plus sourire. Ma santé allait de plus en plus mal avec ce niveau de stress, et peu à peu, j’ai sombré… Je ne me reconnaissais plus dans le miroir, j’étais déconnectée, et j’ai commencé à avoir des idées noires : avoir un accident pour ne pas aller travailler, et me reposer à l’hôpital, voire même mourir, car je n’en pouvais plus… Chaque fois que je marchais pour rentrer chez moi, je me sentais au bord du passage à l’acte : me mettre sous un bus, sauter du pont… Toute cette ambiance a fait ressortir de vieux trauma, donc forcément ça en rajoutait un peu… C’était le cercle vicieux.  »
Parce qu’ils craignent l’autorité, par peur de perdre leur emploi ou de décevoir, pour être reconnus et appréciés, les jeunes recrutés peuvent éprouver des difficultés à poser leurs limites et à mettre un frein aux attentes excessives de leur employeur. Mélanie conclut avec pertinence : « Ce que je pense avec l’expérience que j’en ai, c’est qu’on arrive à cette situation de burn-out quand on ne se connaît pas suffisamment pour connaître ses limites, quand on ne s’est pas construit et que par cela, on se prouve des choses et que surtout, on manque tellement d’amour ou de confiance en soi que cela nous nourrit de voir que ce que l’on donne fait plaisir à l’autre.  »
Cette difficulté à poser ses limites offre un terrain propice au harcèlement moral. D’après une étude menée en 2016 par la Chambre des salariés du Luxembourg et l’Université du Luxembourg, les jeunes entre 16 et 24 ans, tant les hommes que les femmes, sont les plus touchés par harcèlement moral, les plus de 55 ans ne seraient quasiment pas concernés par ce problème [5]. Léa raconte : « J’avais 26 ans. C’était mon premier emploi en CDI. Burn-out, harcèlement moral, dépression et obligation de tout quitter pour une perverse narcissique… Les blessures sont encore présentes. Tout a commencé à la naissance de mon enfant. J’ai demandé à travailler à 80% pour avoir le mercredi de libre. A mon retour de congé de maternité, j’ai très vite senti que les choses avaient changé. Rapidement, j’ai senti la boule au ventre. À chaque trajet vers le boulot, je pleurais. Ma chef a été de plus en plus méchante. Ses mots étaient de plus en plus virulents. Des reproches sans cesse. Celle qui m’avait remplacée pendant mon congé d’accouchement faisait ça et faisait ci. Bref, moi, je ne valais plus rien. Je n’en pouvais plus. Alors, j’ai commencé à m’enfermer. Un mercredi, je me souviens, j’ai même envoyé mes enfants jouer et j’ai dit à mon fils : « Rentrez quand papa revient du travail. » J’étais au bout du rouleau… Je pleurais tout le temps. J’entendais la voix de ma chef dans ma tête, en boucle… J’ai pris des médicaments, pas pour mourir, mais juste pour qu’on me demande : « Pourquoi tu as fait ça ?  » Puis j’ai eu rendez-vous à la médecine du travail et là, j’ai craqué. J’ai tout confié à la médecin qui m’a emmenée mettre une main courante au commissariat. Les mots, les remarques, les reproches, la mise au placard, toutes ces choses qui vous font craquer. Même en voulant être plus forte, c’est impossible, tout vous envahi jour et nuit, H24. Comme l’impression que je ne contrôlais plus rien… Mon corps voulait être fort mais mon esprit n’en pouvait plus. Je n’avais plus d’appétit. Je m’enfermais totalement. Je ne supportais plus rien ni personne. J’ai dû tout abandonner. Sur cette sombre partie de ma vie, je peux vous dire que dans ce cas, il vaut mieux être l’emmerdeur que l’emmerdé.  »
La difficulté à poser des limites ainsi que la jeunesse des recrutés favorisent le harcèlement sexuel. L’enquête Virage réalisée en 2015 par l’Ined montre que les femmes sont quatre fois plus touchées par ce problème que leurs pairs masculins [6]. D’après le rapport du Haut Conseil à l’Égalité publié en janvier 2019 [7], les femmes de moins de 30 ans sont les plus à risque d’atteintes sexistes ou sexuelles. Aurore raconte : « J’avais 25 ans. Je sortais de l’université. C’était mon premier emploi. Mon patron m’a engagée parce qu’il avait des idées derrière la tête. Très vite, il m’a harcelée sexuellement. Il me menaçait de me virer si je ne couchais pas avec lui. Il m’a même changé de contrat pour que j’ai une nouvelle période d’essai en me disant  : « On verra si tu es plus gentille. ». Il m’a fait vivre un enfer. L’équipe m’appelait « la pute du patron ». Et je comprends. Il s’est bien arrangé pour. Il m’a acheté un bureau flambant neuf, à moi, la petite nouvelle qui venait d’arriver alors que les collègues qui étaient là depuis des années devaient se contenter des vieux bureaux de récup’. J’étais jeune, c’était mon premier job. Je n’osais pas me défendre. J’avais peur de perdre mon travail. Ce n’était pas facile de trouver un emploi dans mon domaine. C’était une chance d’avoir un boulot si intéressant à la sortie de l’université. Et mon boss avait l’art de faire passer aux petits jeunes qu’ils n’étaient rien sans lui. Aujourd’hui, je le recadrerais parce que je n’aurais pas peur de lui. Je sais me positionner, avec l’âge, on prend de la maturité. » Kate explique : « Il y a aussi eu le harcèlement sexuel de mes collègues en cuisine. Nous étions obligés de communiquer, de nous regarder, de travailler ensemble… Et on me le reprochait. « Kate, arrête de me regarder, tu m’excites ! » et des avances sexuelles… On m’a aussi suivi dans le sous-sol. Il ne s’y passait jamais rien, mais le climat était très insécure car c’était les mêmes personnes qui me harcelaient et qui me suivaient au sous-sol.  »
Parfois, parce qu’ils veulent prouver leur engagement ou par enthousiasme, ils se surpassent sans qu’aucune demande ne soit formulée par leur entreprise.
L’alternance de périodes de surcharge de travail et de vacuité conduit à l’épuisement professionnel. Dans son emploi de cheffe de produit, Lila a souffert tant de l’ennui que de la sensation d’être débordée : « Ma collègue qui travaillait en amont, et qui donc devait me donner du travail, était toujours trois mois en retard. Je m’ennuyais en attendant le travail. Puis, soudainement, tout me tombait dessus et j’avais deux semaines pour tout avaler… Ce que je faisais. J’oscillais entre la surcharge de travail et l’absence complète de travail. C’était 9h-17h30, qu’on ait du boulot ou pas. Et si on partait à 17h30, on nous regardait d’un œil noir. Mon manager m’a souvent fait la remarque, que ‘‘Partir à 17h30 alors que tout le monde reste jusque 19h ça montre quelque chose de toi.’’ »
Dans certains cas, la confrontation au monde du travail vient révéler aux jeunes qu’ils se sont fourvoyés dans leur choix d’étude. Le travail ne correspond pas à l’image qu’ils s’en étaient forgée, il n’est pas apte à apporter l’épanouissement attendu. Leurs efforts pour s’adapter à cette décevante réalité peuvent se révéler inefficaces et mener au brown-out, au bore-out à toute autre forme de souffrance professionnelle.
Le manque d’encadrement est lui aussi un facteur précipitant l’épuisement professionnel. Auparavant, les jeunes recrutés étaient épaulés et encadrés par les anciens. C’est moins souvent le cas de nos jours. Lila, qui a souffert du manque d’encadrement, raconte : « Quand mon collègue a quitté la boîte, je me suis donc retrouvée après un an de formation, seule à la tête du département avec une collègue qui n’a jamais travaillé dans le domaine. En perdant mon collègue, j’ai perdu ma seule source d’apprentissage au travail. Je me suis retrouvée face à une collègue certes adorable, mais incompétente. C’est là que la descente a commencé. Mes tâches étaient répétitives, mon travail ennuyeux. Je n’étais pas à l’aise car je devais jongler avec des notions encore inconnues pour moi. Et je devais former aux bases du métier ma collègue supposément hiérarchiquement supérieure à moi … J’avais 23 ans, un an d’expérience, une formation incomplète. Il était normal que j’aie besoin d’un mentor, de formation, de faire des erreurs et de tester de nouvelles choses ! Bref, je pense que mon manager a eu vraiment beaucoup d’influence sur mon mal-être, mais également le manque total de dynamisme de mon job une fois que je n’ai plus eu personne pour me former…  » Employés et cadres sont sous pression et peu disponibles pour soutenir les jeunes recrues. Du coup, les jeunes peuvent souffrir d’un déséquilibre entre les tâches qu’ils ont à accomplir et les moyens mis à leur disposition pour les réaliser. Mélanie approuve : « J’estimais beaucoup mon patron, car c’est quelqu’un de très intelligent. Il me nourrissait et me tirait vers le haut. Puis, il a commencé à me charger de plus en plus, à me demander de gérer de plus en plus de choses, car il disait que j’en étais capable. Je me suis retrouvée à gérer une agence seule, sans expérience de cela, et avec un patron absent qui me laissait tout gérer. »
Les difficultés de communication avec les collègues et/ou les supérieurs hiérarchiques sont un autre facteur de détresse psychologique. Les relations conflictuelles entraînent presqu’inévitablement une souffrance professionnelle. Kate confirme : « Le deuxième élément a été la façon dont on s’adressait à nous, les clients et le manager. Beaucoup de conflits ont éclaté entre les équipiers eux-mêmes, et une collègue s’est battue avec une manager car elle refusait de se laisser parler comme à un chien. C’était ça, tout le temps… On n’avait pas de prénom, c’était des ordres, et une ambiance très oppressante. Et les clients n’étaient jamais contents. Comme nous aussi on était sous pression, ça ne se passait jamais bien. J’ai même eu des clients masculins, lors de la fermeture, qui m’ont commandé ‘‘une glace avec du foutre dedans’’. C’était assez quotidien ce genre de choses. Je craquais sans pouvoir me retenir. Les larmes coulaient toute seule et j’avais la boule dans la gorge tout le temps, même avant d’arriver au boulot. Pour la moindre remarque, pour un haussement de voix, je fondais en larmes. C’était devenu quotidien. Quand ça arrivait au travail, et bien, on m’en rajoutait une couche en me disant que si j’étais si faible, je n’allais jamais rien réussir dans la vie, qu’il me fallait me renforcer, que j’étais un bébé. ». Lila rapporte : « Quand mon collègue est parti, j’ai perdu ma protection. Je me suis retrouvée sous les réprimandes directes de mon manager qui m’a fait faire une crise de panique à cause d’un appel téléphonique “oublié “. Il était agressif, il était constamment sur mon dos et je ne comprenais pas ce que je ne faisais pas correctement. L’ambiance au bureau était mauvaise, le manager étant vraiment détestable avec tout le monde. Depuis que ce manager est aux commandes, tous les collègues, une dizaine de personnes, ont déjà fait un burn-out. »
Entre jeunes et aînés, les problèmes sont divers. Les jeunes peuvent être peu considérés en raison de leur manque d’expérience et en souffrir. Leur besoin de reconnaissance, de valorisation n’est généralement pas assouvi et ils sont rarement appréciés à la hauteur de leur dévouement. Amandine témoigne : « Mes supérieurs ne percevaient pas mon engagement sur le terrain. Je faisais des entretiens exploratoires aux quatre coins de la Belgique. Il m’est même arrivé d’aller à des événements le week-end dans le cadre de mon projet de recherche, mais cela passait dans le domaine de l’invisible.  » Mélanie ne cache pas sa colère : « J’ai été vraiment blessée du manque de reconnaissance de toutes les années que j’avais donné avant. J’ai essayé tant bien que mal de continuer, mais la colère est forte. Je suis sous antidépresseur pour essayer de supporter. J’ai demandé une rupture conventionnelle, car j’ai un projet professionnel qui me correspond mieux que je souhaite mettre en place mais on me fait traîner. Je deviens plus qu’irritable, en colère permanente. Je ne me reconnais plus. » Des collègues plus âgés peuvent saboter leurs cadets parce qu’ils se sentent menacés par ces jeunes loups aux dents longues et pleins d’énergie qui se surinvestissent pour prouver leurs compétences. Amandine a été victime de sabotage de la part de sa supérieure : « Je pensais avoir une alliée de taille avec moi, ma promotrice de thèse. Au début, je l’admirais beaucoup et petit à petit, je me suis rendu compte que je n’étais pas respectée. Je me donnais énormément dans les travaux pratiques que j’encadrais pour elle, en espérant qu’elle dégage du temps pour ma thèse. Je me suis pliée en quatre en répondant à toutes ses exigences. À sa demande, j’allais chercher des intervenants à la gare, j’allais apporter des thés et des cafés aux intervenants pendant les cours, j’allais déposer des intervenants à l’aéroport avec ma voiture sans me faire défrayer, mais elle me manquait de respect sans que je ne m’en rende compte. Elle fixait systématiquement nos rendez-vous le lundi après-midi alors que j’avais mes consultations en cabinet privé, elle oubliait nos rendez-vous, elle n’avait pas la bonne version du protocole de recherche sous les yeux, elle me disait qu’elle n’avait pas reçu mon document à relire et qu’on ne savait pas travailler. Avec l’expérience, je prenais mon ordinateur pour la mettre face à ses mensonges en lui montrant mon e-mail. Elle justifiait sa négligence envers moi par le fait qu’elle était « débordée ». Pourtant, j’étais toujours très disponible pour elle. Il m’est même arrivé d’établir un cours de trois heures en deux semaines parce qu’un intervenant de cours était absent.  »
En cas de licenciement pour motif économique, le dernier arrivé dans l’entreprise étant souvent le premier congédié, les jeunes ont tendance à se surpasser pour prouver leur bonne volonté. Certains, parce qu’ils se sentent peu crédibles, sont sur la défensive et se montrent arrogants, ce qui entraîne inévitablement des tensions avec leurs collègues. Ils sont parfois plus diplômés que leurs supérieurs hiérarchiques qui peuvent vouloir prouver leur autorité par une attitude écrasante. Ces mêmes conditions mènent à l’épuisement professionnel des aînés qui peuvent parfois décupler leurs efforts pour montrer qu’ils sont encore dans la course. Plus que les jeunes, le blurring les guette, en particulier s’ils sont cadres. Les jeunes tolèrent l’intrusion du professionnel dans leur vie privée, mais ils restent vigilants à conserver un équilibre. Leurs aînés supportent généralement moins bien cette perméabilité entre le monde privé et professionnel. Entre les jeunes portés par le feu sacré de leur enthousiasme et voulant prouver leurs compétences, en avance au niveau technologique et les aînés, forts de leur expérience et de leur pouvoir qui craignent de paraître « has been », les risques de conflits sont grands.

Est-ce un phénomène générationnel ?

Le problème a toujours existé, mais il est sans doute accentué par le contexte général d’insécurité qui règne sur le marché du travail. La conjoncture économique actuelle est un facteur fragilisant le bien-être au sein des entreprises. Les jeunes craignent de perdre leur emploi. L’humain n’est pas au centre ; seule compte la performance et la rentabilité. De plus, les perspectives sont plus étroites pour les nouveaux recrutés. Faire carrière et grandir au sein d’une entreprise est certainement moins vrai aujourd’hui qu’hier. Autre changement qui renforce le problème, c’est le rapport que les jeunes entretiennent à l’autorité. Auparavant, l’autorité était considérée comme légitime et n’était pas remise en question, ce qui n’est plus le cas de nos jours. Aujourd’hui, les rapports hiérarchiques sont devenus contraignants, même si les jeunes craignent encore, comme dans le passé, leurs supérieurs. Enfin, l’accomplissement personnel était sans doute également moins important il y a 50 ans. Les personnes travaillaient pour gagner leur croûte. Certes, cela reste vrai, mais on attend sans doute davantage du travail qu’il soit une source d’accomplissement personnel.

À quoi les jeunes remarquent-ils qu’ils sont en souffrance ?

C’est souvent un long processus. Il est rare que les jeunes s’alarment des premiers signes d’épuisement professionnel et qu’ils acceptent l’idée de souffrir à cause de leur travail. Les propos de Mélanie illustrent parfaitement la banalisation des symptômes précurseurs : « J’avais de plus en plus de maux de tête. Il m’arrivait d’avoir quelques Dafalgan dans le tiroir de mon bureau, mais à un moment j’ai été m’acheter une boîte. Je ne me posais pas trop de questions. Je me disais : « Je n’ai pas bu assez d’eau. », « J’ai eu une grosse journée. »  ; parfois, je remettais même ça sur mon cycle menstruel. Je me sentais également fatiguée. Je me souviens d’avoir été voir une kinésiologue en lui disant que je me sentais plus fatiguée que d’habitude. Elle a remis ça sur le changement saisonnier ; on passait de l’automne à l’hiver. Elle m’a dit qu’elle sentait que je méditais beaucoup et que j’avais l’air tout à fait équilibrée. Je me suis dit : « Bon, il me faut juste un peu de repos ». Aude a eu du mal à croire qu’elle était en burn-out : « C’est ma psy de l’époque qui avait évoqué le burn-out, et qui m’avait même conseillée de prendre une semaine sans travailler, alors que je venais juste de commencer. Ça me faisait bien rire quand même, un burn-out au bout de quelques mois de travail ! Mais je pense effectivement qu’il y avait l’effet d’accumulation. En tout cas, j’ai mis du temps à l’accepter l’idée que ça pouvait être un burn-out. Finalement, c’est le confinement qui m’a sauvée. »
Les symptômes manifestés par les jeunes ne sont pas spécifiques du burn-out. Ils se rencontrent également dans la dépression, les troubles anxieux ou le stress post-traumatique. Ce sont les plaintes liées au travail (intensité et organisation du travail, exigences émotionnelles, autonomie, marge de manœuvre, relations avec les supérieurs et les collègues, conflits de valeurs, insécurité de l’emploi) qui orientent vers le diagnostic de burn-out. Notons toutefois que le burn-out peut se doubler d’autres troubles psychiques. Par exemple, des événements de vie délétère tels que des traumatismes peuvent grever le burn-out d’un syndrome psychotraumatique. De même, des antécédents personnels (dépression, troubles anxieux, traumatisme), des difficultés familiales et des événements stressants négatifs ou positifs (par exemple, mariage, naissance, déménagement) peuvent rendre une personne plus vulnérable aux facteurs de stress professionnels.
Les principaux symptômes du burn-out sont émotionnels (anxiété, angoisse, tristesse, hypersensibilité, absence d’émotion, etc.), cognitifs (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration, etc.), comportementaux (addictions, passages à l’acte violent), interpersonnels (isolement social, comportement agressif, perte d’empathie, etc.), motivationnels (perception négative du travail, remise en question professionnelle, désengagement, dévalorisation, perte de confiance en soi, etc.) et physiques (fatigue allant jusqu’à l’épuisement, troubles du sommeil, douleurs dorsales, maux de tête, etc.).Voici quelques témoignages : « Je n’en pouvais plus : stress, angoisses. Je pleurais tout le temps. J’étais persuadée de n’être bonne à rien et mon travail ne me plaisait plus. J’ai commencé à remettre en doute toutes mes qualités, mes qualifications, mes choix d’études qui étaient pourtant des études de passion, un rêve depuis toute petite. J’avais tout simplement perdu confiance en moi, et je ne trouvais plus aucun intérêt à mon job. J’étais aussi toujours déprimée, démotivée et triste. J’avais la boule au ventre tous les matins, et roulais dans mon lit tous les soirs.  », «  Insomnie et réveil en sursaut la nuit en pensant à ce que je devais encore faire quelques heures plus tard, au travail, alors que la quantité de travail était tout à fait gérable. Ne pas savoir décrocher du travail, obsession permanente du travail, des ruminations mentales. Être à fleur de peau pour n’importe quelle remarque et être très négative constamment. Se sentir incapable de gérer quoi que ce soit au niveau professionnel, même les tâches simples, par exemple, se sentir incapable de répondre à un e-mail futile. Tout dramatiser.  », « Je pleurais tout le temps. Plus envie d’aller travailler. J’y allais la boule au ventre. J’avais des idées noires. Je m’isolais de mes collègues.  », « Je pleurais à mon réveil, je pleurais dans la voiture pour aller bosser. J’avais envie de vomir en entrant dans l’entrée. Je mangeais peu, j’avais perdu du poids. J’étais irritable avec mon conjoint et je ne jouais plus beaucoup avec ma fille. Aucune motivation, envie de rien. Sous antidépresseur. Je refusais l’arrêt maladie. Pendant de longs mois et de longs mois…  »
Parfois, un événement précis met brusquement le jeune en arrêt. Kate raconte : « C’est un événement lors d’une fermeture qui m’a fait réagir. Je devais nettoyer les toilettes des clients. Il était 22h30. Il y avait du sang partout dans les toilettes pour hommes… Le rouleau, le WC, tout était maculé de rouge… Je ne m’y attendais pas. Je me suis sentie mal, comme si j’allais tomber dans les pommes. Je n’arrivais plus trop à savoir ce que je devais faire. J’ai été demander des gants. Parce que les toilettes, on ne les faisait jamais avec des gants. On m’a répondu qu’on n’en avait pas, mais que je pouvais prendre ceux qu’on utilise pour laver les friteuses. J’ai tout nettoyé… J’étais toute blanche, j’avais envie de vomir et j’avais besoin d’un petit moment pour reprendre un peu mes esprits… Mais on m’a dit : « C’est difficile pour tout le monde. Fais un effort ! » Ce soir-là, je n’ai pas dormi. Dès que je fermais les yeux, je voyais la porte, les WC, le sang. Le lendemain, je prenais le service à 7h. Je n’y suis pas allée. Mon corps m’en a empêchée… Et puis, je me suis retrouvée chez un médecin. Là, je n’ai rien pu dire à part : « Je travaille chez (chaîne de fast-food) » et j’ai pleuré. Je ne m’arrêtais plus de pleurer. Je marchais dans la rue, je pleurais ; je parlais de tout et de rien, je pleurais. Arrêt de travail immédiat. J’ai dormi, beaucoup dormi, plus de 13h par jour. J’étais très fatiguée et nerveusement aussi j’étais épuisée.  » C’est un événement privé qui a fait réagir Mélanie : « Puis, la vie m’a mis un stop. Enfin, c’est comme cela que je le vois. Ma fille a commencé une phobie scolaire qui est montée crescendo jusqu’à son hospitalisation qui a vraiment été un choc émotionnel pour elle et pour moi. Et là, je me suis dit que je donnais mon âme pour un milieu et des gens qui n’en valaient pas la peine. J’ai mis un stop sur toutes les heures supplémentaires que je faisais et les week-ends et petit à petit, j’ai arrêté de gérer tout ce qu’on m’avait chargé et qui n’était pas mon travail initial.  »

Comment les jeunes se sortent-ils de ce mauvais pas ?

Par un arrêt de travail dont la durée est évaluée en fonction de l’évolution des troubles, par de la relaxation pour lutter contre le stress, par de la méditation pour apprendre à lâcher prise, par un coaching pour savoir prendre position et poser ses limites et/ou par une psychothérapie pour se libérer des traumas, modifier sa façon de voir les choses, se repositionner par rapport au travail, etc. Lorsque les troubles s’accompagnent d’une dépression ou d’un trouble anxieux, un traitement par antidépresseur peut être envisagé. Dans les cas les plus sévères, le recours à un psychiatre, voire une hospitalisation en psychiatrie, peut s’avérer nécessaire. La médecine du travail a également un rôle à jouer parce qu’elle peut recommander des aménagements ou des adaptations du poste de travail. Dans le cas où les problèmes sont structurels au contexte socioprofessionnel (type de travail, type de management), un changement d’emploi ou une réorientation professionnelle est parfois nécessaire. Quitter son emploi et en retrouver un autre a été salvateur pour Kate : « J’ai trouvé par la suite un travail 10 heures/semaine. J’y suis encore. J’étais encore dépressive et épuisée quand j’ai passé l’entretien d’embauche, mais j’ai été retenue et ça a tout changé. J’ai pu reconstruire une confiance en des collègues et en des supérieurs. J’ai pu prendre confiance en moi dans le domaine du travail. J’ai pu panser les blessures grâce à l’ambiance et à la bienveillance sur mon nouveau lieu de travail. La charge de travail était moindre. Tout est fait pour que chaque employé ne soit pas débordé. Lorsqu’il y a un afflux de clients, une collègue vient ouvrir une deuxième caisse. Et le management est beaucoup plus centré sur les conditions de travail et le bien-être de l’employé. Ce n’est pas parfait, il y a des failles, mais en tous les cas, je leur dois beaucoup. On se tutoie, l’ambiance est beaucoup plus détendue. Même si on doit être polyvalent, courir partout, on est soutenu par le store manager. C’est plus humain et chaleureux.  » Audrey est sortie du tunnel en consultant un psychologue et en choisissant une nouvelle voie professionnelle : « J’ai communiqué de mon état à mon président et il m’a écoutée. Il m’a payé des séances avec un psy du travail et il m’a offert la possibilité de partir sous de bonnes conditions financières …J’ai fait une reconversion professionnelle et je suis très heureuse !!! » Tiana a activement lutté contre son mal-être et c’est la psychothérapie qui l’a aidée à sortir la tête de l’eau : « J’ai fait une pause… forcée, car licenciement économique suite à la crise du covid, ce qui m’a permis de travailler beaucoup sur moi-même avec ma thérapeute, en EMDR notamment. J’ai fait beaucoup de sport, de méditation, beaucoup de lectures de livres sur le développement personnel, notamment Eckart Tolle. Je fais également des soins énergétiques (shiatsu). Ce qui m’a aidé le plus est la thérapie, qui n’est pas évidente à suivre lorsqu’on travaille et qu’on a peur de s’absenter. » Julie continue de se battre, mais n’est pas tirée d’affaire : « J’ai été hospitalisée deux fois en hôpital psychiatrique. Je suis suivie en Centre Médico-Psychologique avec consultations psychiatre, psychologue, groupe de parole. »
Certaines personnes tirent une force de leur expérience. C’est le cas d’Amandine : « Ces expériences ont forgé une employée déterminée, qui sait se valoriser et surtout qui est fière de son identité personnelle et professionnelle ! » Mais, parfois, le chemin est long et le burn-out peut laisser des traces sur le long terme. Noémie témoigne : « J’avais 25 ans lors de mon premier job d’infirmière en réanimation lorsque j’ai fait un burn-out. Je suis restée huit mois sans travailler, chez moi, paumée.  » Nathalie approuve : « J’avais une responsable complètement antipathique et surtout tyrannique, désagréable, jamais contente du travail que nous faisions. Elle me suivait aux toilettes pour voir si je téléphonais, elle surveillait mes e-mails. Elle criait sur son personnel. Elle me persécutait. Elle boycottait mon travail. J’ai craqué et depuis 2016, je ne m’en suis jamais remise… Je suis en maladie chronique. »

Ce phénomène mériterait-il de rentrer dans le débat public ?

Oui, ne serait-ce qu’en raison du coup pour les entreprises et la société. Par exemple, une personne en burn-in, en bore-out ou en burn-out peut être présente physiquement, mais peu efficace. Elle est plus susceptible de commettre des erreurs qui peuvent s’avérer coûteuses. De plus, comme elle se rend compte de son manque d’efficacité ou qu’elle s’ennuie, la souffrance s’accroît et mène bien souvent à des arrêts de travail.
A ce jour, le syndrome d’épuisement professionnel ne figure toujours pas dans la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) de l’Association américaine de psychiatrie publiée en 2013. Quant à la Classification internationale des maladies de l’Organisation Mondiale de la Santé, elle reconnaît l’entité diagnostique de burn-out. La définition du burn-out a été mise à jour dans la 11e révision, la CIM-11, adoptée le 25 mai 2019 et d’application au 1er janvier 2022. Ce syndrome figurait déjà dans la CIM-10, mais la définition est aujourd’hui plus détaillée. Selon la version actuelle : « Le burnout est un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès. Il se caractérise par trois dimensions : 1) un sentiment d’épuisement ou de manque d’énergie ; 2) une distance mentale accrue par rapport à son travail, ou un sentiment de négativisme ou de cynisme lié à son travail ; et 3) un sentiment d’inefficacité et de manque d’accomplissement. L’épuisement professionnel fait spécifiquement référence à des phénomènes dans le contexte professionnel et ne doit pas être appliqué pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie.  » [8] Le burn-out (code QD85) est classé dans la section des «  Problèmes associés à l’emploi ou au chômage ». Il n’est pas comptabilisé dans les troubles mentaux comme le sont, par exemple, la dépression ou les troubles anxieux. Il est référencé dans le chapitre « Facteurs influant sur l’état de santé ou sur les motifs de recours aux services de santé », qui regroupe les motifs qui ne sont pas classés comme maladies, mais pour lesquels les personnes s’adressent aux services de santé. Il est ainsi considéré comme un « problème » ou « un phénomène lié au travail » plutôt que comme un véritable trouble médical. L’Organisation mondiale de la Santé déclare être « sur le point d’entreprendre un travail sur l’élaboration de lignes directrices fondées sur des bases factuelles concernant la santé mentale sur le lieu de travail. »
Lire l’article La souffrance au travail chez les jeunes : burn-in, burn-out, bore-out, brown-out complet sur le site d’Evelyne Josse

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