La place du traumatisme dans la thérapie familiale : une idée dérangeante, saugrenue ? 

La place du traumatisme dans la thérapie familiale : une idée dérangeante, saugrenue ? 

Mis à jour le 25 mai 2024

Un article d’Hélène Dellucci, Isabelle Philippe, Michel Silvestre, publié dans Thérapie familiale

Article publié en français – accès payant sur le site de l’éditeur 

Résumé

Notre réflexion cherche à montrer comment la systémique et la psychotraumatologie s’enrichissent mutuellement pour une meilleure prise en charge autant des individus que des systèmes dans lesquels ils évoluent

Nous relevons l’importance primordiale du corps, celle des liens et de l’attachement, la nécessité de contextualiser le trauma, en incluant tant des données sociétales, statistiques, anthropologiques de santé publique qu’une perspective féministe. 

Nous postulons qu’il faut en même temps penser circularité et linéarité. 

Nous montrons concrètement comment s’opère une prise en charge psychotraumatique dans une perspective systémique en en clarifiant le vocabulaire et les concepts. 

Nous nous inscrivons autant dans une optique de détection, de traitement que de prévention. 

Plan 

  1. Introduction
  2. Définition du trauma
  3. Différents types de trauma
  4. Conséquences du trauma et du traitement thérapeutique : articulation entre linéarité et circularité
  5. Conclusion

Introduction 

Est-ce que la prise en compte et le traitement des psychotraumatismes a sa place dans un cadre systémique ? En d’autres mots, est-ce que la psychotrauma- tologie est soluble dans la systémique ? Cette réflexion est née d’une confronta- tion d’idées lors du congrès de thérapie familiale de 2018 et d’échanges qui ont suivi dans la revue. Elle fait suite à l’atelier du même nom qui s’est tenu lors des dernières journées de la revue Thérapie familiale à Lyon en mai 2022 : une belle opportunité de croiser des avis divergents et d’affiner notre réflexion. 

Systémicien·ne·s et psychotraumatologues, nous avons été profondément interpellé e s par cette problématique qui pointe précisément une articulation essentielle de notre travail entre les fondements de la pensée systémique et l’éthique humaniste. Elle remet en perspective la vision des systèmes, en tenant compte des rapports de genre, de la prise en compte des données sta- tistiques et anthropologiques indéniables dans le champ rigoureux et efficace de la psychotraumatologie. Afin de mener une réflexion inclusive, riche de nos différences et qui fasse honneur à la créativité et à la pluralité de regards qui animent ces journées de Lyon, nous nous sommes constitué e s en un groupe mixte au niveau du genre comme des provenances professionnelles (femmes- hommes, médecins-psychologues). 

Sortir de l’antagonisme entre systémique et psychotraumatologie, c’est les inclure dans une pensée et une pratique plus riches, mieux à même de répondre aux complexités de la clinique familiale. Les violences intrafamiliales (graves négligences, violences verbales et physiques, inceste) ne percutent pas que des individus. Ils constituent aussi des enjeux collectifs qui touchent profondément la famille et le corps social. La psychotraumatologie, de par l’importance qu’elle accorde aux manifestations somatiques, enrichit une clinique qui a encore trop souvent tendance à ne s’adresser qu’à la partie cognitive de l’individu. Elle nous permet de réintégrer une perspective reliant le corps et l’esprit, le psy- chotraumatisme intrafamilial ne touchant pas seulement des psychés, mais aussi des corps. Elle permet aussi de conjuguer une vision individualiste et des enjeux collectifs. Les violences intrafamiliales atteignent donc non seulement des individus, mais tout le corps familial et sociétal. Il y a une réelle complé- mentarité entre les visions psychotraumatologiques et systémiques. Il y a une psychotraumatologie de la famille où les notions de bouc émissaire, de patient identifié, de déni et de silence, de questionnement sur la structure familiale, sur les loyautés, sont pleinement convoquées. Reconnaître une position de victime permet de mettre à jour des mécanismes relationnels et travailler non pas sur une victimisation de la personne mais sur un changement des relations intrafa- miliales et sociétales tout en soignant l’individu blessé. 

L’articulation entre notre travail de psychothérapeute et le devoir de protection et de prévention implique une collaboration nécessaire et souvent obligatoire avec les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte. La prise en compte des traumatismes qui sont trop souvent mal et sous-évalués, insuffisamment reconnus et traités, doit se faire à notre avis tant au niveau thérapeutique que judiciaire. Les prises en charge qui ne tiennent pas suffisamment compte de 

ces éléments risquent de rajouter non seulement du trauma pour l’individu, mais aussi des dysfonctionnements familiaux dont les conséquences sur la famille actuelle, sur la structure du vivre ensemble de la société et aussi sur les générations futures peuvent se révéler désastreuses. 

La perspective féministe permet d’enrichir la réflexion sur les contextes fami- liaux et sociétaux en pointant les différences entre symétrie et complémenta- rité dans les relations (femme-homme, adultes-enfants, occidental-de couleur, cisgenrée-LGBTIQ+…). Elle n’annule pas les principes de circularité mais les met en contexte. Elle permet de nommer des actes dans lesquels interviennent des auteurs de violences et des victimes qui subissent leurs violences. Elle reconnaît la complexité des rapports humains sans céder à un relativisme sur les actes. Elle permet de sortir d’un silence qui fait le berceau des dominations (Dussy, 2013). Elle accorde à la militance le bénéfice d’un rééquilibrage qui permet de sortir des a priori et des croyances patriarcales, d’une pensée unique masculine occidentale qui imprègne et rigidifie encore fortement le champ sociétal en général et de la psychothérapie plus spécifiquement. 

Certaines victimes d’inceste ou d’autres violences familiales ont pu mettre en l’œuvre des mécanismes de résilience suffisants pour que les psychotrauma- tismes ne perturbent pas ou peu leur existence. Il n’en demeure pas moins que tout traumatisme a un impact sur l’individu et la famille, comme une balle a un impact dans un corps et sur les murs d’une maison. 

Notre expérience clinique, l’accès nouveau par les mouvements #MeeToo à une parole longtemps étouffée, les diverses publications autobiographiques ainsi que les études scientifiques montrent que les violences intrafamiliales (dont linceste) sont bien plus courantes que ce que le bon sens peut imaginer, que les conséquences à court et à long terme, tant psychiques que physiques, sont très souvent désastreuses et sous- ou faussement diagnostiquées. Plutôt quà voir du traumatisme partout, nous pensons qu’il nest pas assez vu et pris en compte ! (…) 

En savoir plus 

Références de l’article La place du traumatisme dans la thérapie familiale : une idée dérangeante, saugrenue ?  :

  • auteurs : Hélène Dellucci, Isabelle Philippe, Michel Silvestre
  • publié dans : Thérapie familiale, 2024/1 (vol 45), pages 13 à 30
  • doi : 10.3917/tf.241.0013 

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