La gentillesse a toujours du bon
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Décembre 2002
Lorsque j’enseigne la psychothérapie EMDR (Eye Movement Desensitization end Reprocessing : utilisant le mouvement rapide des yeux, ce traitement thérapeutique accéléré a révélé son efficacité dans les troubles posttraumatiques.) à mes collègues psychiatres et psychologues, je prends toujours soin de souligner que le thérapeute doit se montrer techniquement parfait mais aussi attentif aux besoins du patient. Lui tendre la boîte de mouchoirs en papier quand ses larmes commencent à perler, avant même qu’il la cherche du regard. Lui parler doucement et le rassurer quand de vieilles douleurs enfouies se manifestent soudain et lui enserrent la gorge. S’assurer, après une séance pleine d’émotions, qu’il est en état de conduire et, si ce n’est pas le cas, le garder un peu plus longtemps. Je conclus en disant qu’il faut simplement être «gentil», car plus on fait preuve de gentillesse avec son patient, plus il progresse. Aucun risque, en plus, d’effets indésirables : personne ne s’est jamais plaint que l’on se montre attentionné envers lui !
Pourtant, la gentillesse n’a pas bonne cote en psychothérapie. A chaque fois que j’émets cette recommandation, je m’entends répondre que je me trompe de mot. « “Bienveillant” est suffisant, me dit-on. “Gentil”, ça fait niais ! » Pourtant, c’est bien de gentillesse dont il s’agit. Car la gentillesse est en elle-même un outil de thérapie. Un outil puissant, y compris – surtout ? – en dehors de la thérapie. A la fin d’une thérapie de groupe à la californienne, le dernier exercice du manuel m’avait d’abord paru un peu ridicule. Il fallait scotcher une feuille blanche dans le dos des huit participants et des deux cothérapeutes, dont j’étais, et que chacun écrive ce qu’il pensait être la plus grande qualité de l’autre. Après douze semaines, je savais que chacun ne pensait pas du bien de tout le monde. Pourtant, l’exercice remporta un énorme succès. C’est frappant comme on arrive à trouver quelque chose de positif à un individu, même si on ne souhaite pas s’en faire un ami ! Plus surprenant encore est l’effet produit quand on le lui dit. Tous les participants se sont quittés la gorge serrée, pleins de reconnaissance. La gentillesse avait fait son travail. C’était une formidable façon de conclure le nôtre.
Dans un livre étonnant sur le sens de la vie (Les Chemins de l’éveil, Le Jour, 2001), le psychiatre australien Roger Walsh raconte une histoire similaire qui s’est déroulée dans les années 60. Dans une classe particulièrement difficile, une institutrice a utilisé le procédé de la feuille blanche dans le dos pour tenter de changer les rapports entre les enfants. Chacun est reparti de l’école avec sa feuille sur laquelle les compliments avaient été réécrits par la maîtresse, afin qu’ils demeurent anonymes. Niais ? Ridicule ? Peut-être. Des années plus tard, cette enseignante assistait à l’enterrement de l’un de ses élèves, mort pendant la guerre du Viêt-nam. La mère du garçon s’est approchée d’elle : « Vous vous souvenez de la lettre que vous aviez donnée à Mark ? Il l’avait accrochée au-dessus de son lit en rentrant ce soir-là. Eh bien, elle était dans la poche intérieure de son uniforme lorsqu’il est mort. Je voulais vous dire merci pour ce que vous avez fait pour lui… »
Pourquoi n’avons-nous pas tous sur nous une telle lettre ?
Décembre 2002