Interview de Benedikt Amann sur EMDR et troubles bipolaires
Mis à jour le 29 septembre 2022
Une Interview de Benedikt Amann sur EMDR et troubles bipolaires.
Qu’est-ce que le trouble bipolaire ?
Le trouble bipolaire est un trouble mental complexe et hautement répandu (une prévalence d’environ 4-5% au cours de la vie) caractérisé par des changements d’humeur dynamiques oscillant entre des périodes d’élévation de l’humeur et des épisodes dépressifs ou mixtes. Il est principalement classé en deux groupes : le trouble bipolaire I (épisodes maniaques et dépressifs sévères) et le trouble bipolaire II (épisodes hypomaniaques et dépressifs), mais les patients présentent également des formes atténuées telles que le trouble cyclothymique ou des phases dépressives et hypomaniaques courtes, dont l’ensemble constitue le spectre bipolaire. Outre les symptômes affectifs, les patients souffrent souvent d’une détérioration cognitive et fonctionnelle et d’autres comorbidités psychiatriques (ex : troubles liés à la consommation de substances, ESPT, troubles anxieux, THDA – troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention) mais également somatiques.
Quels en sont les facteurs ?
Le trouble bipolaire est une maladie neurobiologique ayant une base génétique. Le traitement principal est pharmacologique et comprend les stabilisateurs de l’humeur (tels que le lithium et le valproate), des antipsychotiques atypiques et les antidépresseurs. L’objectif thérapeutique est la rémission clinique, un état euthymique et une stabilisation sur le long terme, mais, en fait, les rechutes sont fréquentes avec, soit des épisodes affectifs majeurs ou se prolongent avec des symptômes permanents plus légers (symptômes dépressifs ou hypomaniaques légers) qui ont leur importance sur le plan clinique puisqu’ils sont considérés comme des facteurs de risque susceptibles d’entraîner d’autres rechutes affectives et qu’ils détériorent le fonctionnement quotidien des patients, en comparaison des patients bipolaires euthymiques. Les troubles bipolaires nécessitent par conséquent une approche de traitement plus complexe, comprenant des interventions psychosociales, telles que la thérapie cognitive comportementale, la psychoéducation, les thérapies interpersonnelle et/ou familiale. Le but d’une approche de traitement plus globale est d’améliorer ces difficultés et, finalement, d’améliorer l’évolution de la maladie avec une diminution des rechutes affectives et de la fréquence des hospitalisations.
Chez les patients bipolaires, la comorbidité d’expériences de vie adverses, de traumas et ou d’ESPT est un facteur de risque sous-estimé. C’est un point regrettable, dans la mesure où des études diverses ont montré que des expériences difficiles survenues dans la petite enfance peuvent déclencher des troubles mentaux graves – tels que le trouble bipolaire – plus tard dans la vie de l’individu et impactent de manière négative l’évolution de la maladie. De même, il est bien établi que des expériences de vie difficiles vécues plus tardivement peuvent affecter de façon négative le cours de la maladie et réduire de façon significative l’efficacité du de traitement. Une étude récente menée par mon groupe a permis d’observer une augmentation des épisodes dépressifs chez des patients bipolaires lorsque ceux-ci avaient rencontré ce type d’expériences difficiles dans les six mois précédant l’épisode affectif. Des recherches sur des patients bipolaires et l’ESPT montrent que ces malades ont une plus forte tendance à la consommation de substances, aux tentatives de suicide, à une cyclothymie rapide (des alternances rapides de troubles up et down) et qu’ils présentent davantage de symptômes affectifs.
L’EMDR peut-elle aider les patients atteints de troubles bipolaires ?
Malgré la fréquence élevée d’événements traumatiques et d’ESPT rencontrés dans l’historique des patients bipolaires, il est frappant de constater qu’il existe extrêmement peu d’études concernant les patients bipolaires traumatisés. C’est là qu’intervient l’EMDR. Notre équipe a réalisé un premier essai contrôlé randomisé sur l’EMDR chez des patients bipolaires I et II et découvert des éléments irréfutables en faveur d’une amélioration du trauma associé et des symptômes affectifs associés au trauma dans le groupe EMDR. En conséquence, nous avons conçu un protocole EMDR de thérapie du trouble bipolaire qui a été publié récemment dans l’ouvrage de Luber et nous allons réaliser un large essai contrôlé afin d’évaluer si ce protocole peut aider à améliorer les résultats du traitement de cette population spécifique.
Quels sont les résultats du traitement EMDR d’un patient avec un trouble bipolaire ?
Dans notre étude, nous avons utilisé le protocole EMDR standard de Francine Shapiro pour traiter les événements traumatiques et l’état des patients s’est considérablement amélioré. Dans le nouveau protocole EMDR du trouble bipolaire, nous avons intégré cinq sous-protocoles bipolaires spécifiques et nous sommes confiants dans le fait que ceux-ci aideront nos patients bipolaires à améliorer le pronostic de leur maladie.
Comment avez-vous été amené à concentrer vos recherches sur le trouble bipolaire ?
Au cours du niveau 1 de ma première formation EMDR, à Barcelone, en 2009, j’ai eu tout de suite l’impression que ce protocole structuré de psychothérapie neurobiologique pourrait aider à stabiliser l’humeur des patients bipolaires. J’en ai ensuite discuté avec Francisca Garcia (présidente d’EMDR-Espagne), Isabel Fernandez (président d’EMDR-Italie et Europe) et, deux mois plus tard, avec Francine Shapiro. Toutes ont soutenu mon idée. J’ai donc créé le groupe de recherche EMDR de Barcelone et depuis lors, nous étudions l’EMDR par rapport au trouble bipolaire mais également en ce qui concerne ses mécanismes d’action.
Benedikt Amann est médecin, docteur et spécialiste en psychiatrie et psychothérapie à l’Université de Munich (Allemagne). Depuis plusieurs années, il travaille comme chercheur dans le groupe de recherche sur les troubles bipolaires à l’Université Ludwig–Maximilian de Munich, ainsi que d’autres groupes de recherche européens (Londres, Barcelone). En 2005, il a déménagé à Barcelone pour effectuer une collaboration scientifique dans le Programme des troubles bipolaires de l’Hospital Clinic de Barcelone, avec le professeur Eduard Vieta. Actuellement, il est le médecin traitant et investigateur principal du ministère espagnol de la Santé au Benito Menni Hôpital de Sant Boi à Barcelone. Membre du CIBERSAM, un réseau scientifique en Espagne, et mène des études et des études de neuro-imagerie cliniques dans les troubles bipolaires et de troubles schizo-affectifs. Il a rédigé plus de 70 articles dans le domaine de trouble bipolaire, du trouble schizo-affectif, de l’EMDR, de la somatisation et de la neuropsychiatrie. Il a participé en tant que conférencier à diverses conférences et à des congrès nationaux et internationaux de psychiatrie avec un intérêt particulier dans le trouble bipolaire. (en savoir plus sur Benedikt Amann)
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