Guérir l’inguérissable
Mis à jour le 30 septembre 2022
Un Dossier Guérir l’inguérissable, d’Ursula Gauthier, publié dans le nouvel observateur
Cet été, on vous propose de (re)lire une sélection d’articles publiés sur le thème de l’EMDR, souvent difficilement accessible en ligne.
Soigner les victimes de viols, de catastrophes ou d’attentats par des mouvements oculaires pourrait faire sourire. Sauf quand les résultats sont spectaculaires. Et rapides…
Ça n’aurait jamais dû arriver. Quand une bande de loubards survoltés a surgi sur cette plage écartée, Henri a été contraint, un couteau coincé contre sa carotide, d’assister sans réagir au viol de Marianne, sa petite amie. Il a fermé les yeux mais n’a pu s’empêcher d’entendre ses cris de détresse. Après leur départ, il a raccompagné Marianne chez elle et ne l’a plus jamais revue. Il a appris plus tard qu’elle s’était à peu près remise. Dix ans ont passé. Lui ne s’est pas remis de ce qu’il appelle sa lâcheté. Il ne va plus jamais au bord de la mer. S’il se met en short de bain, il a l’impression que son cœur va exploser. Un cri au loin lui donne des sueurs froides. Il est bourré de phobies. Il fume trop, boit trop, consomme trop de somnifères. Henri ne sait pas qu’il souffre de ce que les « victimologues » appellent l’ESPT, état de stress post-traumatique. « Tout ce qui nous confronte à notre possible mort est un traumatisme », explique Gérard Lopez (1), directeur de l’Institut de Victi-mologie de Paris (2), qui emploie une douzaine de psys spécialisés dans l’aide psychologique d’urgence et délivre sept mille actes chaque année. Leurs patients ont subi des violences publiques ou privées, des agressions, des sévices, du harcèlement moral ou sexuel, des catastrophes naturelles, des accidents domestiques, de la route, des maltraitances, des viols, etc.
Pour les soigner, on dispose aujourd’hui d’une palette de méthodes dérivées des thérapies comportementales et de l’hypnose. La plus spectaculaire d’entre elles porte le nom barbare de « désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires s. On l’appelle par son acronyme anglais EMDR. Les instituts de victimologie, et un certain nombre de psys indépendants, ne jurent plus que par elle. « C’est extraordinaire : un gosse qui a subi une agression traumatisante peut être guéri, totalement guéri, en trois séances ! », s’exclame Patrick Zillhardt, psychiatre hospitalier et expert auprès des tribunaux. « En cinq à dix séances, on peut faire un travail complet sur un adulte qui s’est incrusté dans des attitudes négatives », affirme Maude Julien, psychothérapeute.Elle publie le mois prochain chez Solar un livre sur le bégaiement traumatique : un handicap pénible sur lequel l’EMDR est souverain.
La méthode est indiquée aussi pour de nombreux troubles « Seules 10% des personnes traumatisées font un syndrome ESPT caractérisé, explique le Dr Lopez. Les autres souffres de dépression graves (50%), d’anxiété (25%), de troubles alimentaires et d’addictions (15%). Ils ne les attribuent pas spontanément à l’événement traumatique déclenchant ; »
C’est une psychologue américaine, Francine Shapiro, qui a découvert par hasard les effets des mouvements oculaires rythmés sur la réorganisation des souvenirs douloureux. « Ils permettent au patient de fusionner avec le souvenir, de ressentir les images et les sensations telles qu’il les a vécues, explique Patrick Zillhardt. Le travail de « digestion naturelle » s’opère alors à travers la ré-actualisation du vécu dans le présent. »
Comment ce prodige s’opère-t-il dans le cerveau ? « Un souvenir traumatique est un paquet d’informations isolé dans le cerveau émotionnel, explique David Servan-Schreiber, qui renferme tout le ressenti de l’événement traumatique : les images, les sons, les odeurs, les mots prononcés, et même l’idée de soi que l’on a conçue sur le moment je suis un lâche, une pute, un incapable, etc.). » Tout cet ensemble, enkysté de façon dysfonctionnelle, est réactualisé au moindre événement qui rappelle un des aspects du « kyste » : une femme qui a été violée par un type à lunettes noires s’effondre intérieurement à chaque fois qu’elle croise des lunettes noires dans la rue. C’est la madeleine de Proust, version toxique. La victime revit dans son corps tout ce qu’elle a subi lors du traumatisme, éprouve les mêmes sensations, émotions ou cognitions et porte les mêmes jugements sur elle-même. Ces derniers, appelés « croyances négatives », sont la source des plus grandes souffrances.
Au cours de la thérapie, le « kyste » est chauffé à blanc par le protocole préparatoire qui traque les aspects les plus émotionnels du trauma. Puis le thérapeute initie un mouvement de métronome assez sec que le patient, immobile, suit des yeux tout en se concentrant sur une sensation, une image. Ce mouvement opère une stimulation sensorielle qui ancre le patient dans le présent. L’important, explique Servan-Schreiber, c’est qu’il ait un pied dans le présent par le sensoriel, un pied dans le passé par la remémoration émotionnelle : « Cela crée un état appelé « mindfull experience », c’est-à-dire conscience réfléchie ou attention double, exactement comme dans la méditation. C’est un très vieux mécanisme de guéri-son, dont l’effet a été étudié par des chercheurs de Cambridge. »
Au bout d’une minute environ, on s’arrête et le patient verbalise ce qui vient d’émerger à la faveur des mouvements. Cette chose est de nouveau « travaillée s par une nouvelle séquence de mouvements… Les traumatismes récents peuvent alors s’effacer devant d’autres, plus anciens, jusqu’à ce que « tout soit nettoyé », explique Maude Julien : « Le patient est dans un train, il voit sa vie défiler. Le thérapeute l’accompagne de l’extérieur et veille à ce que le train ne s’emballe pas ni ne s’arrête. Le patient va très loin dans l’émotionnel, mais il doit en sortir, sous peine de panique et de malaise. » C’est là que la qualité du thérapeute fait toute la différence.