Garder l’espoir
Mis à jour le 25 septembre 2011
David Servan-Schreiber – Psychologies magazine – février 2009
Ripley m’écrit une lettre poignante. « Cancer du sein en octobre 2005 : le choc. Fin de traitement dix-huit mois plus tard, je vous passe les détails… Tout devrait aller parfaitement à présent, et d’ailleurs, je présente bien ! En réalité, je vis sans cesse dans l’angoisse de la récidive… je ne vis pas, je survis. Je suis infirmière anesthésiste, et tous les jours, je vois des patients qui rechutent. J’envie votre énergie. Chez moi, elle est cassée, et pourtant, je vous promets qu’elle existait. Ce qui me frappe, c’est le décalage entre l’apparence et le mental. Et je trouve que le temps ne change rien à cela. »
Que s’est-il passé quand, malgré un traitement réussi, le souvenir d’une maladie suffit à nous voler notre énergie vitale ? Souvent, c’est le signe que nous avons vécu notre maladie comme un traumatisme psychologique. Comme s’il s’était agi d’un braquage, ou d’un viol. Toute situation terrible d’impuissance laisse ses marques dans notre cerveau émotionnel. Le souvenir en reste si vivant qu’il colore – comme un filtre devant nos yeux – tout ce qui nous arrive, même longtemps après l’événement. Avoir éprouvé cette impuissance au plus profond de notre être peut nous laisser avec le sentiment qu’il n’y a rien de bon à attendre de la vie, que nous n’y avons plus notre place. Et c’est cela qui nous vole notre énergie, notre élan vers les autres, vers l’avenir.
Plus grave encore, s’ils persistent dans le temps, l’impuissance et le désespoir sont les états émotionnels qui fragilisent le plus les défenses naturelles du corps contre la maladie. Une étude américaine marquante (Hopelessness and risk of mortality and incidence of myocardial infarction and cancer de Susan Everson, Debbie Goldberg, George Kaplan, et al., in Psychosomatic Medicine, mars-avril 1996), de l’université de Berkeley, en Californie, a permis de prédire le risque de maladies à venir en fonction des réponses à deux questions très simples posées aux personnes interrogées : « Avez-vous le sentiment qu’il est impossible pour vous d’atteindre les objectifs que vous vous fixez ? »; « Avez-vous l’impression que votre futur est sans espoir et qu’il vous est difficile de croire que les choses vont s’améliorer pour vous ? » Ceux qui répondaient « oui » à ces deux questions avaient trois fois plus de risque d’avoir un cancer dans les six ans, et quatre fois plus d’avoir une maladie cardio-vasculaire (infarctus, attaque cérébrale ou autre). Or ce désespoir est le plus souvent une illusion. Il résulte des échecs passés que nous n’avons jamais réussi à dépasser (échecs scolaires, amoureux, professionnels, etc.) et du regard des autres (parfois, malheureusement, celui de nos propres médecins), quand ils ne croient pas que nous pouvons changer le cours de notre existence.
Lorsque j’ai moi-même appris que mon cancer avait récidivé, il y a neuf ans maintenant, je sais ce qui m’a formidablement aidé à sortir du sentiment initial, terrible, d’impuissance : d’abord d’avoir soigné mes traumatismes du passé (grâce à la thérapie EMDR, Eye Movement Desensitization and Reprocessing, ou désensibilisation et reprogrammation par des mouvements oculaires.), puis d’avoir appris ce que je pouvais faire pour m’aider moi-même en plus des traitements conventionnels. Tout ce qui nous permet, lorsque l’on a connu le cancer, de retrouver un peu de contrôle sur notre corps et sur nos émotions, nous libère, petit à petit, du désespoir, et renforce du même coup notre capacité physique à faire face à la maladie, et à nous engager, de tout notre élan, dans la vie.
Février 2009