EMDR pour les survivants d’événements médicaux mettant en jeu le pronostic vital
Mis à jour le 25 novembre 2024
Un article de Bates, A., Baldwin, D. S., Pattison, N., Moyses, H., Huneke, N. T., Cortese, S., Grocott, M. P. et Cusack, R. , publié dans Cochrane Database Syst Rev.
Article publié en anglais – accès libre en ligne
Résumé
OBJECTIFS
Il s’agit d’un protocole pour une revue Cochrane (intervention).
Les objectifs sont les suivants : Évaluer les effets de la désensibilisation et du retraitement par les mouvements oculaires (EMDR), un programme d’intervention psychologique, sur les symptômes liés au stress traumatique chez les survivants d’événements médicaux mettant leur vie en danger.
OBJECTIFS SECONDAIRES
Evaluer si les effets de l’EMDR diffèrent selon la nature de l’événement médical (diagnostic ou contexte associé), le résultat mesuré (trouble de stress post-traumatique (TSPT), anxiété, dépression ou qualité de vie) ou l’intervention (séances en ligne, en face à face, en groupe ou individuelles).
Contexte
Description de l’affection
Le trouble stress-traumatique (TSPT) est une affection psychiatrique caractérisée par des groupes de symptômes spécifiques qui provoquent une détresse significative et/ou une altération fonctionnelle à la suite d’une exposition à un événement mettant la vie en danger. Si la détresse psychologique est une réaction courante et normale à un tel traumatisme, la nature, la gravité et la persistance des symptômes sont très variables. La peur et le stress aigu s’estompent souvent avec le temps ; cependant, une partie importante de la population exposée connaît des problèmes psychologiques graves et durables. Il s’agit notamment de troubles de l’attachement, de l’engagement social et de l’adaptation, qui sont classés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition, révision textuelle (DSM-5-TR) comme des troubles liés aux traumatismes et aux facteurs de stress (APA 2022).
Le TSPT est un trouble grave, invalidant et largement étudié lié à un traumatisme. Pour qu’un diagnostic soit posé, il faut que chacun des critères suivants soit présent.
A. Exposition à la mort, à une menace vitale ou à la violence.
B. Symptômes d’intrusion, par exemple souvenirs récurrents et indésirables, rêves pénibles, flashbacks, détresse psycho- ou physiologique à la suite de rappels internes ou externes de l’événement traumatique.
C. Évitement persistant des pensées, souvenirs ou rappels externes pénibles liés au traumatisme index.
D. Altérations négatives de la cognition et/ou de l’humeur, par exemple incapacité à se souvenir d’éléments du traumatisme, croyance négative persistante en soi, état émotionnel, distorsion de la cognition, diminution de l’intérêt, détachement ou incapacité à exprimer des émotions positives.
E. Altérations marquées de l’éveil, par exemple irritabilité, comportement imprudent, hypervigilance face à une menace perçue, réaction de sursaut exagérée, problèmes de concentration, troubles du sommeil.
Les symptômes doivent :
• être présents depuis plus d’un mois
• être à l’origine d’une détresse ou d’une altération fonctionnelle cliniquement significative, ou les deux ;
• ne pas être attribuables aux effets physiologiques d’une substance ou d’un état pathologique.
L’enquête mondiale sur la santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état d’une prévalence de 3,9 % pour l’ensemble de la population au cours de la vie, qui atteint 5,6 % chez les personnes exposées à un traumatisme (Koenen 2017). En 1994, le DSM-IV a reconnu que le fait d’être diagnostiqué avec une maladie potentiellement mortelle pouvait constituer un traumatisme index potentiel entraînant un TSPT (APA 1994). Le DSM-5-TR a affirmé qu’une maladie potentiellement mortelle ou un état médical débilitant n’est pas nécessairement un événement traumatique. L’interprétation du critère A, exposition à la mort, à la menace de mort ou à des blessures graves, à la suite d’« événements médicaux soudains et catastrophiques, tels que le réveil pendant une intervention chirurgicale ou l’anaphylaxie », est laissée à l’appréciation du clinicien qui pose le diagnostic. Cette incertitude a soulevé des préoccupations conceptuelles et méthodologiques quant à l’utilisation d’événements médicaux comme événements index pour le diagnostic du TSPT.(Cordova 2017; Greimel 2013). Bien qu’elles remplissent les critères diagnostiques établis, les personnes atteintes de TSPT découlant d’événements médicaux peuvent avoir subi une composante biologique supplémentaire, ce qui nécessite une analyse nuancée de cette sous-population spécifique. Quoi qu’il en soit, de nombreuses publications font état de patients présentant des symptômes de stress traumatique à la suite d’événements médicaux mettant en jeu le pronostic vital. Selon les méta-analyses, l’incidence du TSPT après un diagnostic de cancer est de 11 % (Abbey 2015), les événements cardiaques de 12 % (Edmondson 2012), les accidents vasculaires cérébraux de 23 % (Edmondson 2013) et de 20 % après une admission aux soins intensifs (Righy 2019). Le TSPT est associé à des résultats défavorables pour la santé physique, notamment une augmentation de la mortalité toutes causes confondues (Boscarino 2006), et un risque accru de maladie cardiovasculaire (Edmondson 2013(2); Edmondson 2017), de cancer (Roberts 2019), d’inflammation chronique, de stress oxydatif (Miller 2018), et de dysrégulation immunologique (Sumner 2020).
En outre, une personne souffrant de TSPT est plus susceptible d’avoir une qualité de vie inférieure (Balayan 2014), une augmentation des coûts des soins de santé, (von der Warth 2020), une consommation nocive d’alcool et de drogues (Hassan 2017), une mauvaise adhésion aux médicaments (Kronish 2012), et un retour au travail reporté (McPeake 2019).
Description de l’intervention EMDR
La désensibilisation et le retraitement par mouvements oculaires (EMDR) est une thérapie psychologique axée sur les traumatismes, censée réduire les symptômes en aidant à traiter et à intégrer les souvenirs pénibles dans les réseaux neuronaux émotionnels et cognitifs positifs existants (Novo Navarro 2018). Les individus sont guidés pour raconter des souvenirs traumatiques tout en recevant une stimulation bilatérale, le plus souvent en effectuant des mouvements oculaires saccadés en suivant les mouvements des doigts du thérapeute (Hase 2021). La psychologue américaine Francine Shapiro a observé que les mouvements oculaires latéraux, lors d’une promenade dans un parc, réduisaient l’intensité des pensées perturbatrices associées à un événement traumatique. Elle a mis au point, testé et affiné le premier protocole de désensibilisation aux mouvements oculaires, en plaçant les mouvements oculaires saccadés sous contrôle volontaire, tout en racontant des souvenirs pénibles (Shapiro 2018). En 2001, le protocole EMDR en huit phases a été établi, incorporant une composante de retraitement de la mémoire.
Les huit phases sont les suivantes.
• Recueil des antécédents : obtenir des informations sur le contexte, déterminer si le patient est apte à suivre le traitement et identifier les souvenirs cibles à traiter.
• Préparation : le patient et le thérapeute établissent une alliance thérapeutique tout en expliquant le processus EMDR, en répondant aux préoccupations et aux questions, et en préparant les patients à l’aide de techniques de réduction du stress afin de favoriser l’équilibre émotionnel entre les phases de traitement.
• Évaluation : le patient accède à un souvenir stressant cible et évalue les unités subjectives de détresse (UDS), de 0 (aucune détresse) à 10 (la pire détresse imaginable), ainsi que la validité de la cognition (positive et négative), de 1 (complètement faux) à 7 (complètement vrai).
• Désensibilisation : le patient relate le souvenir cible, les émotions et les croyances qui y sont associées, tout en effectuant des mouvements oculaires latéraux, guidé par le thérapeute. Elle se poursuit jusqu’à ce que la détresse diminue.
• Installation : le souvenir cible est associé à la cognition positive identifiée dans la phase 2.
• Scanner corporel : le patient scrute son corps à la recherche d’une gêne somatique résiduelle associée au souvenir cible. Répéter les phases 4 et 5 si la détresse persiste. Si le SUD est évalué à ≤ 1, revenir à la phase 3 pour identifier un autre souvenir cible.
• Clôture : le thérapeute et le patient utilisent la relaxation et l’imagerie guidée pour assurer la stabilité à la suite de la séance et pour traiter la détresse qui peut survenir entre les séances.
• Réévaluation : évaluer les effets du traitement et la stabilité du patient.
Cette approche protocolisée permet d’évaluer la fidélité et de la tester dans le cadre d’études contrôlées (Korn 2018). Plusieurs méta-analyses font état d’un effet positif du traitement à la suite d’une série d’expériences traumatiques (Bisson 2013; Cuijpers 2020; Mavranezouli 2020; Watts 2013) et d’un effet comparable ou supérieur à celui de thérapies alternatives, telles que la thérapie cognitivo-comportementale (Chen 2015) et les approches pharmacologiques (Watts 2013). Ces données suggèrent que l’EMDR est une approche thérapeutique efficace pour aider les individus à traiter et à surmonter les événements traumatisants. Par conséquent, l’OMS (van Ommeren 2013), l’American Psychiatric Association (APA) (Ursano 2010), l’International Society for Traumatic Stress Studies (ISTSS) (Bisson 2019) et le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) (NICE 2018) recommandent l’EMDR comme thérapie candidate pour le traitement du TSPT. Toutefois, si l’EMDR s’est avéré efficace dans le traitement des populations ayant vécu des combats armés, des catastrophes naturelles et des agressions, on en sait moins sur son efficacité dans le traitement des traumatismes psychologiques causés par des événements médicaux.
Comment l’intervention peut-elle fonctionner ?
L’efficacité clinique de l’EMDR a donné lieu à diverses théories conjecturales concernant son mécanisme sous-jacent. Ces théories sont en grande partie conformes au modèle de traitement adaptatif de l’information (AIP) (Hase 2021). Les souvenirs, les pensées et les émotions associés à de nouvelles expériences sont censés être traités dans une « résolution adaptative » au sein de nos réseaux neuronaux existants. Ce processus renforce notre base de données émotionnelle et cognitive positive, ce qui nous permet de tirer parti de nos expériences et de les utiliser à notre avantage. À l’inverse, une réponse neurobiologique excitatrice à un traumatisme psychologique, médiée par des neurotransmetteurs tels que le cortisol et l’adrénaline, peut perturber le traitement de l’information, entraînant un stockage inadapté des souvenirs dans un état perturbé. Les souvenirs peuvent alors être déclenchés par des stimuli internes et externes, ce qui entraîne les symptômes d’intrusion et d’excitation associés au TSPT. L’hypothèse semble être cohérente avec les changements physiologiques observés associés au TSPT, tels que des altérations des concentrations neuroendocriniennes (Sbisa 2023), un système limbique hyperactif (Landin-Romero 2018) et une activité thalamique réduite (Lanius 2003).
On suppose que les deux caractéristiques principales de l’EMDR – amener le souvenir traumatique dans la mémoire de travail tout en se concentrant sur la stimulation bilatérale – réduisent l’intensité de la réponse physiologique au souvenir associé, créant ainsi des conditions neurobiologiques optimales pour la PIA (Amano 2016). En outre, les mouvements oculaires saccadés peuvent reproduire les conditions cérébrales observées pendant les mouvements oculaires rapides (REM) et le sommeil à ondes lentes, lorsque les souvenirs sont censés être consolidés dans les réseaux sémantiques généraux existants (Pagani 2017; Stickgold 2002). D’autres explications potentielles incluent un traitement amélioré de la mémoire grâce à une connectivité inter- et intra-hémisphérique accrue (Keller 2014), et l’attention à des stimuli doubles taxant le système de mémoire de travail, diminuant ainsi la vivacité et l’émotionnalité associées (van den Hout 2014). Malgré de nombreuses études, une explication mécaniste concluante de l’EMDR reste difficile à trouver. Cependant, les théories proposées ne sont pas nécessairement contradictoires, et l’intérêt croissant pour les modèles intégratifs suggère de manière plausible que de multiples composants en interaction peuvent générer l’effet clinique positif observé (Coubard 2016).
Pourquoi il est important de réaliser cette étude ?
L’expérience d’un événement médical potentiellement mortel peut entraîner des symptômes de stress post-traumatique persistants et invalidants. Cette revue est importante pour déterminer si l’EMDR peut être considéré comme une thérapie candidate pour les patients à la suite d’événements médicaux mettant en jeu le pronostic vital, et pour identifier les lacunes dans les connaissances qui pourraient éclairer les recherches futures.
Le guide NICE 2018 recommande l’EMDR comme traitement du TSPT ; cependant, la base de données probantes pour ce guide a été générée en utilisant des populations homogènes, principalement des survivants de combats armés, d’agressions et de catastrophes naturelles ou causées par l’homme. La recherche épidémiologique suggère que le TSPT consécutif à un événement médical menaçant la vie affecte une proportion substantielle de survivants, avec des coûts de santé associés élevés, mais il n’est pas clair si l’EMDR peut être considéré comme une stratégie de traitement raisonnable.
Le TSPT consécutif à un traumatisme externe, tel qu’un combat armé ou une agression, peut être fondamentalement différent du TSPT consécutif à un traumatisme interne, tel qu’un événement médical. Les chercheurs ont signalé la peur de la récurrence et de la progression de la maladie (Fait 2018), et la perception élevée de la menace interne (Meli 2017), comme les caractéristiques symptomatiques proéminentes à la suite d’un TSPT à la suite d’un événement médical. Il est donc important d’évaluer les approches thérapeutiques dans cette population distincte.
Deuxièmement, une revue systématique des essais contrôlés randomisés fournit des informations supplémentaires concernant la réponse à l’EMDR dans des sous-groupes de populations médicales, par exemple pour savoir si l’EMDR est plus efficace pour les personnes qui ont souffert d’un diagnostic menaçant le pronostic vital ou d’un traitement médical d’urgence pour sauver des vies. Cet examen systématique peut également fournir des informations supplémentaires sur l’efficacité de l’EMDR dans des sous-groupes particuliers de diagnostic ou de traitement.
Le TSPT coexiste souvent avec des symptômes d’anxiété et de dépression. Cette étude pourrait fournir des informations sur l’impact des problèmes de santé mentale comorbides sur la réponse clinique à l’EMDR.
Enfin, les revues systématiques précédentes des interventions psychothérapeutiques à la suite d’événements médicaux mettant la vie en danger n’ont trouvé aucune étude EMDR (Birk 2019) ; sept études où l’EMDR était utilisé uniquement à la suite d’un diagnostic de cancer (Portigliatti Pomeri 2022) ; et trois études où l’EMDR était plus efficace que les thérapies psychologiques alternatives (Haerizadeh 2020). Cependant, le risque de biais n’était pas clair et la force globale des preuves était faible.
Compte tenu de ces rapports peu concluants, une analyse systématique conforme aux lignes directrices de la Cochrane pour l’identification des essais, l’évaluation de l’hétérogénéité, l’évaluation de la qualité méthodologique et la mesure de l’effet clinique est justifiée.
En savoir plus
Références de l’article EMDR pour les survivants d’événements médicaux mettant en jeu le pronostic vital :
- auteurs : Bates, A., Baldwin, D. S., Pattison, N., Moyses, H., Huneke, N. T., Cortese, S., Grocott, M. P. et Cusack, R.
- titre en anglais : Eye movement desensitisation and reprocessing for survivors of life-threatening medical events
- publié dans : Cochrane Database Syst Rev, 7(7), CD015640
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Dossier(s) : EMDR et maladies physiques / somatisation