Déni, cauchemars, hyper-vigilance… rescapés, ne laissez pas ces symptômes s’installer
Mis à jour le 5 octobre 2022
Article Déni, cauchemars, hyper-vigilance… rescapés, ne laissez pas ces symptômes s’installer, édité et parrainé par Barbara Krief, publié dans la rubrique le plus du nouvel obs.
LE PLUS. Comment continuer à vivre après avoir été confronté à sa propre mort ? Comment retrouver le goût des choses alors que d’autres ne sont pas sortis vivants du drame ? Pour les survivants des attentats, les lendemains sont douloureux. Syndrome de Lazare et stress post-traumatique, attention à ne pas laisser ses réactions naturelles devenir des pathologies, met en garde le psychologue clinicien Yann Valleur.
Les victimes rescapées des attentats du 13 novembre, qu’elles soient blessées physiquement ou non, ont fait l’expérience d’un choc d’une violence inouï. Ce choc provoque un stress non assimilable par la personne qui le subit.
On parle de traumatisme quand il y a eu confrontation à la mort, qu’elle ait été réelle ou imaginaire. Les victimes ont été soumises à des images, à des émotions et à des sensations que le reste d’entre nous n’a pas connu. L’intensité de la tension que ces visions ont provoquée est d’emblée grandement difficile à assimiler psychiquement.
Après des événements de cette nature, un décalage peut s’installer entre le survivant et le reste du monde. Le rescapé peut ainsi avoir le sentiment que son monde a changé, ou du moins qu’il ne lui renvoie plus les mêmes sentiments. Il peut alors perdre ses repères, et particulièrement ceux qui l’ancrent dans sa réalité et qui lui permettent de vivre en société.
Des symptômes rassurant au début
Suite à un drame de cette ampleur, il est tout à fait normal de ressentir des symptômes pendant quelques semaines. Ceux-ci peuvent s’apparenter à un stress post traumatique. C’est plutôt lorsque la victime est dans l’évitement et le déni que le pronostic n’est pas favorable.
Ces troubles peuvent prendre différentes formes dont les principales manifestations peuvent être les reviviscences (souvenirs, cauchemars, flash-back,…), l’évitement, les émotions négatives, l’hyper vigilance, les troubles du sommeil ou encore les difficultés émotionnelles
Là où il faut cependant s’inquiéter, c’est lorsque ces troubles s’inscrivent dans la durée. Lorsqu’ils perdurent au-delà d’un mois, ils deviennent alors anormalement persistants et peuvent alors s’accompagner régulièrement de troubles associés comme la dépression ou l’addiction.
Nous devons tous aider les survivants
L’usage de substances ou d’activités sources de décharges fortes de sensations permet de répéter une stratégie qui consiste à se disjoncter et ainsi de se défendre de l’objet traumatique, je pense notamment aux joueurs compulsifs d’argent.
J’ai pas mal de patients qui ont survécu à un drame et dont un proche n’a pas eu cette chance. Ils se sont alors retrouvé vivant et héritier. Un statut parfois insupportable qui les pousse à tout jouer au casino répétant alors une stratégie que le trauma à largement introduit et qui se rapproche de ce que les cliniciens appellent la dissociation péritraumatique.
Le malade va alors se replier sur lui-même et s’isoler de plus en plus en rompant les liens sociaux qu’il était avant capable de gérer. J’ai des patients qui arrivent trois ou quatre ans après un drame et qui se sont totalement coupés du monde. C’est alors plus difficile à prendre en charge.
Heureusement, l’arsenal thérapeutique dont nous disposons aujourd’hui peut aider les victimes, leur entourage a également un rôle essentiel à jouer, plus particulièrement au début.
Proches, soignants et même l’ensemble de la société, nous devons tous aider les survivants.
Attention aux professionnels qui se prétendent spécialistes
La première étape est cruciale. Il s’agit du « débriefing ». Il est important que les victimes puissent se voir proposer un soutien psychologique immédiat. Pour être efficace, Il doit intervenir dans les 72 heures suivant le drame. Cela leur permet d’élaborer en groupe les évènements à un professionnel qui est là pour les guider.
Le professionnel n’est pas simplement un psychologue ou un psychiatre mais bien quelqu’un de spécialisé dans le « débriefing ». Ces professionnels et les lieux où les trouver peuvent être trouvés en contactant l’Inavem qui est la fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation. C’est la source la plus sure permettant d’accéder à ce type d’interventions, qui mal réalisées peuvent faire plus de mal que de bien.
Ayant moi-même reçu des patients touchés de près ou de loin par les attentats, je les ai orientés dans un premier temps vers des prises en charges adaptées.
J’en profite d’ailleurs pour mettre en garde contre les psychologues amateurs qui s’improvisent spécialistes du « débriefing » et du trauma et qui n’ont pourtant pas les compétences requises pour assumer ce genre de suivi.
Avec les attentats du 13 novembre, des professionnels, certes animés la plupart du temps par les meilleures intentions du monde, ont proposé leurs services. Leur intervention non qualifiée peut se révéler dangereuse. Avec l’Inavem, vous aurez accès à un réseau d’associations labellisées et reconnues.
Il faut laisser le survivant raconter les événements en boucle
« Le débriefing » consiste surtout à laisser le rescapé raconter en boucle ce qu’il a vécu.
En parlant, il met des mots sur une scène hors du commun et peut ainsi parvenir à métaboliser l’enfer. Ce qui est essentiel. Le risque étant de vivre ce souvenir comme un film dont l’on se souviendrait à distance et de refouler la réalité pour se protéger. Cette technique inconsciente d’évitement n’a malheureusement qu’un temps.
C’est aussi là que doivent intervenir les proches : ils doivent laisser la victime s’exprimer, même s’il est dur pour eux d’entendre encore et encore l’horreur et d’imaginer qu’ils auraient pu perdre la personne. Empêcher quelqu’un de parler n’est pas lui rendre service. Le culpabiliser lorsqu’il le fait peut même mettre sa santé psychique en danger.
Par la suite, si les troubles persistent, il est conseillé d’aller voir un psychologue ou un psychiatre afin de s’engager dans une prise en charge.
Différentes techniques ont fait leur preuve en la matière telles que les thérapies cognitivo-comportementale ou encore l’EMDR. Les proches ont également un rôle important à jouer dans la reconstruction de la victime et de ses repères. Ils doivent l’écouter, la rassurer et l’entourer.
Ne culpabilisez pas les rescapés !
Les survivants peuvent souffrir également du syndrome de Lazare. Le sentiment de culpabilité accompagne alors cette pleine conscience d’avoir échappé à la mort alors que d’autres n’ont pas eu « cette chance ».
Les proches doivent donc éviter à tout prix de culpabiliser la victime en lui disant, par exemple, « arrête de nous raconter ça, imagine, on a failli te perdre » ou encore « ça va, tu n’es que blessé, pense à la centaine de morts »…
Le sentiment de culpabilité est réellement néfaste dans ce genre de contexte et il est à traiter prioritairement, même si il n’est qu’un sentiment injustifié. Bien sûr, les survivants ne sont pas coupables de la mort des autres, ni de leur survie d’ailleurs.
Il est évidemment très important d’honorer les morts et de leur rendre hommage mais il ne faut pas pour autant en négliger les vivants. Après tout, c’est eux qui en ont le plus besoin. Les morts sont célébrés surtout pour les familles endeuillées, les vivants ont besoin de l’être pour continuer à vivre.
Célébrons les vivants comme nous célébrons les morts
La considération sociale portée sur les victimes joue d’ailleurs un rôle dans leur rétablissement. C’est ce que l’on a constaté en comparant le stress post-traumatique des militaires revenant de la seconde guerre mondiale et celui des vétérans américains de retour de la guerre du Vietnam.
Les premiers ont été accueillis en héros défenseurs de la Nation et ont moins souffert de SPT. Les seconds, accueillis avec beaucoup moins d’enthousiasme après la polémique suscitée par cette guerre, ont été bien plus nombreux à exprimer des symptômes.
Nous avons donc un rôle à jouer en tant que société. Nous devons reconnaître la souffrance des victimes et ne pas les négliger parce qu’ils ont la chance d’avoir survécu. La manière dont nous traitons nos rescapés aura un impact sur eux. Pensons aux survivants, aux vivants.
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