Briser le cercle de la transmission
Mis à jour le 30 septembre 2022
Un article Traumatismes, Briser le cercle de la transmission, de Anne Guion, paru dans le Magazine Sens et santé, avec Hélène Dellucci, Isabelle Mansuy et Moshe Szyf.
Extraits :
De votre grand-mère, vous n’avez sans doute pas hérité que les yeux verts et le mauvais caractère. Il se pourrait que votre phobie de la foule soit directement liée aux heures sombres de l’exode vécues par votre aïeule pendant la Seconde Guerre mondiale. Dépressions inexpliquées, comportement “borderline” et autres troubles du comportement que l’on retrouve sur toute une lignée ont longtemps été une énigme pour les psychologues. Et si les traumatismes vécus se transmettaient de génération en génération ? C’est l’intuition de la psychogénéalogie, qui tente de trouver dans l’histoire familiale la clé des mal-être présents. C’est aujourd’hui un champ d’études scientifiques, entre neurosciences et génétique. Pour la psychotraumatologue Hélène Dellucci, la charge émotionnelle des secrets de famille se transmet via les neurones miroirs, les neurones de l’empathie. Les généticiens Isabelle Mansuy et Moshe Szyf ont, eux, travaillé sur les modifications du génome causées par les vécus traumatiques. Leurs conclusions sont en train de révolutionner notre conception de l’être humain : oui, nous héritons bel et bien des traumatismes de nos ancêtres. Mais nous avons aussi les moyens de briser la malédiction.
Découverte des neurones miroirs
Comment pouvons-nous souffrir aujourd’hui des drames qu’ont vécus nos grands-parents ? L’une des avancées scientifiques majeures de ces dernières années nous donne une clé : la découverte, en 1996, des neurones miroirs. Soit des neurones qui s’activent non seulement quand nous menons une action orientée vers un but, mais aussi quand nous regardons quelqu’un d’autre faire la même action. Il suffit ainsi que l’on observe son voisin en train d’effectuer une série de gestes simples – remplir un verre d’eau, le porter à ses lèvres, boire – pour que, dans notre cerveau, les mêmes zones s’allument que dans le cerveau de celui qui accomplit pourtant réellement l’action. Même chose pour ce qui est des émotions comme l’angoisse ou bien la peur. Tout se passe comme si les cerveaux étaient connectés entre eux. Seule la conscience de notre propre corps nous convainc que nous ne sommes pas nous-même en train de vivre et de ressentir ce que l’autre vit. « Le processus se fait en deux temps, explique la psychotraumatologue Hélène Dellucci. D’abord “je ressens ce que tu ressens’, puis “je sais que tu n’es pas moi’. Or, dans les familles qui ont subi de nombreux traumatismes, les enfants ont parfois du mal à procéder à ce deuxième temps. Comme des éponges, ils s’imprègnent des expressions corporelles de leurs parents, de leur angoisse, etc. Ce faisant, ils incorporent ainsi tout un matériel psychique, d’autant plus fort qu’il n’a pas été traité par la parole : les non-dits, secrets de famille, sont tus parce que trop chargés émotionnellement. Ce trop-plein s’exprime parfois plus tard, lorsque le contexte fait rejaillir ce vécu émotionnel. » Une mère qui éprouve une colère inexpliquée contre sa fille aînée découvrira en thérapie que la grand-mère de son père est morte en couches en donnant naissance à une fille et qu’elle porte en elle inconsciemment le ressentiment contre ce bébé, signe de mort. Ou bien un fils de déporté restituera en séance d’EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing, thérapie basée sur les mouvements oculaires), une pratique proche de l’hypnose, les bruits et les odeurs d’un camp de concentration sans que son père ait jamais évoqué ses souvenirs avec lui.