Qui sait ce qui se passe après la mort ?
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Mai 2006
Katya avait peur de mourir. Depuis l’annonce de la reprise de son cancer, elle avait une peur intense de ce qui l’attendait de l’autre côté. Katya était statisticienne et, dans sa culture de scientifique et d’athée, elle était convaincue qu’il ne pouvait rien y avoir d’autre qu’« un vide immense, le noir absolu, et pour toujours ». La nuit, elle en avait des crises d’angoisse. Des amis lui avaient dit que les deux tiers des habitants de la planète ne partagent pas cette vision nihiliste : ils croient que chaque âme poursuit son chemin à travers des vies successives. Mais Katya rétorquait que ces mêmes deux tiers de la planète croient aussi au droit de battre sa femme. Ça ne la rassurait pas beaucoup. Je ne pouvais que lui dire, bien sûr, que si quelqu’un prétend savoir ce qui se passe après la mort, il est bien présomptueux. Toutefois, chaque médecin a eu des rencontres étonnantes avec certains patients morts cliniquement – leur électroencéphalogramme est resté plat plusieurs minutes – et revenus…
Alors même que je ne m’intéressais pas particulièrement à cette question, plusieurs patients m’ont raconté leur expérience – épreuve qui les avait transformés pour toujours. Ils avaient eu la conscience d’être mort et de passer de « l’autre coté ». Ils avaient rencontré une lumière très vive qui venait les accueillir et d’où émanait beaucoup d’amour et de bienveillance. Ils avaient souvent retrouvé des personnes décédées depuis longtemps qui les considéraient tendrement, et leur avaient dit que leur temps n’était pas encore venu et qu’il fallait repartir. Ils avaient d’abord regretté ce retour et se souvenaient de la souffrance au moment de reprendre leur place à l’intérieur de leur corps meurtri. Cette expérience les avait changés en profondeur : capables de mieux parler de leurs émotions, plus ouverts aux autres, plus touchés par le plaisir simple de sentir la présence de la vie autour d’eux. Et, surtout, ils n’avaient plus jamais eu peur de ce qui les attendait après la mort. Ces descriptions qui m’ont été faites spontanément, on les retrouve dans toutes les cultures et à travers tous les âges de l’humanité. Certains éléments – comme l’allégresse, la sensation de flotter dans un tunnel et la présence d’une lumière très vive – sont si fréquents que l’on peut imaginer qu’ils sont dus aux hallucinations d’un cerveau en manque d’oxygène. Mais comment expliquer les détails notés par les patients lorsqu’ils se voient flottant au-dessus des médecins qui tentent de les réanimer et dont ils peuvent dans certains cas répéter les mots prononcés ? Peut-on comparer les hallucinations qui ont lieu au cours d’asphyxies temporaires avec des expériences telles qu’elles transforment la personnalité de ceux qui les ont vécues ?
Dans une extraordinaire étude (Near death experience in survivors of cardiac arrest : a prospective study in the Netherlands , P. van Lommel, R. van Wees, V. Meyers, I. Elfferich. In The Lancet, 15 décembre 2001, vol. 358 (9298)) publiée dans The Lancet, des chercheurs hollandais ont interviewé des patients revenus à la vie après un arrêt cardiaque. Sur trois cent quarante-quatre cas, 12 % ont vécu des expériences qui répondaient aux critères stricts d’une NDE (de l’anglais Near Death Experience, « expérience de mort imminente »). Un quart d’entre eux racontaient avoir flotté au-dessus de leur corps. Alors qu’il était totalement inconscient, un homme a même pu dire à une infirmière interloquée où celle-ci avait rangé son dentier, retiré avant de l’intuber lors de la réanimation. Pour des esprits scientifiques comme Katya ou moi, ces observations nous mettent face à un dilemme. D’une part, nous sommes attachés à une explication du monde en accord avec les principes établis par la science. Or, ceux-ci ne s’accommodent pas facilement de l’idée d’une vie consciente après la mort… D’un autre côté, l’esprit scientifique nous impose de ne pas nier des observations fiables sous prétexte qu’elles ne sont pas conformes à nos théories. Pourtant, l’article du Lancet le prouve, les expériences de NDE sont courantes et leurs descriptions, fiables. Katya est restée perplexe après cette conversation, puis, quelques mois plus tard, elle m’a apporté une vidéo réalisée par le docteur Raymond Moody (auteur notamment de La Vie après la vie ; J’ai lu, 2003), psychiatre, pionnier de l’étude des NDE aux Etats-Unis. Huit personnes y racontent leur expérience et comment par la suite elles n’ont plus jamais eu peur de la mort.
Je voyais sur le visage de Katya qu’elle aussi se sentait plus rassurée. Je n’ai pas poussé la conversation plus loin. Après tout, quand les certitudes nous manquent, il appartient à chacun de choisir ce à quoi il veut croire, que ce soit noir et angoissant ou lumineux et rassurant..
Mai 2006