Payons notre dette au sommeil
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Avril 2002
Emile a 37 ans et dirige son entreprise. Il me dit qu’il perd la mémoire et qu’il est convaincu d’avoir un début de maladie d’Alzheimer. Il n’essaye même plus de se souvenir du nom des gens qu’il rencontre ; pourtant, il sait que c’est important pour ses affaires. Hier, il avait oublié le numéro de téléphone de son associé qu’il appelle tous les jours. Il a dû consulter son carnet. « Tout de même, je ne pensais pas que la sénilité commençait si tôt… », dit-il.
Ma première question le surprend :
« Combien de temps dormez-vous la nuit ?
— Entre six et sept heures, pourquoi ?
— Avez-vous besoin d’un réveil pour vous lever le matin ?
— Bien sûr ! Comment peut-on se réveiller autrement ?
— Et si vous vous allongiez dans une pièce sombre pendant la journée, pensez-vous que vous vous endormiriez ?
— Ah oui ! J’ai essayé de prendre des cours de yoga, mais, dès que je fais un exercice de relaxation, je m’endors ! »
Le diagnostic est clair : manque de sommeil chronique. D’après mon expérience, c’est la principale cause de troubles de la mémoire chez les personnes jeunes – beaucoup plus fréquente, donc, que la démence. Des études américaines estiment que plus de la moitié d’entre nous dorment de une heure à une heure et demie de moins que nécessaire. Au XVIIIe siècle, la moyenne de sommeil était de neuf heures à neuf heures et demie. Un rythme qui se calquait sur celui du soleil et de la lune. Mais c’était avant l’électricité, avant la télé, avant le club de sport, avant l’e-mail. A l’aube du XXIe siècle, respecter ses besoins de sommeil est devenu un luxe. Quelque chose que l’on ne fait qu’en vacances, et encore. En ville, admettre que l’on dort plus de huit heures dénote même un certain «manque d’ambition» !
Pourtant, les conséquences du manque de sommeil ne se limitent pas aux seuls troubles de la mémoire. Il faut aussi lui imputer nos problèmes de concentration, notre irritabilité chronique avec nos enfants ou nos subalternes, nos difficultés à prendre des décisions et – plus grave encore – à trouver du plaisir dans les petites choses de la vie… et à sourire ! Ce ne sont pas des considérations théoriques. On estime que nous fonctionnons tellement à la limite de nos besoins que les accidents de la route augmentent de 10 % le fameux dimanche du passage à l’heure d’été, lorsque nous perdons collectivement une heure. Le manque de sommeil est d’ailleurs la deuxième cause des accidents de la route, après l’alcool.
Comment s’acquitter de notre dette de sommeil ? Il faut d’abord savoir qu’elle est cumulative : il ne suffit pas d’une seule bonne nuit pour rattraper une perte de une à deux heures par jour pendant un mois. Pas plus qu’il ne suffit de dormir une heure de plus le week-end… Pour ceux qui le peuvent, une sieste de vingt minutes l’après-midi est un bon moyen de rattrapage.
L’idéal ? Faire ce que me recommandait inlassablement ma grand-mère : se coucher une heure plus tôt le soir !