Nos cellules aiment la vérité
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Février 2003
Sophie est malheureuse avec son mari, mais elle préfère ne pas en parler avec lui ; mieux vaut faire comme si tout allait bien. Jacques sait que les déchets de l’usine dont il a la charge sont toxiques pour l’environnement ; il fait tout pour éviter que cela se sache, même si cela le met mal à l’aise. Michelle, depuis trente ans, cache à tout le monde que son père est algérien ; elle pense que, dans son milieu, ce serait mal vu. Denise est médecin et consultante pour les médias ; elle a un cancer depuis deux ans et ne veut pas qu’on l’apprenne ; elle a suivi son traitement en secret.
L’un des stress les plus intenses pour un primate de laboratoire est d’être changé de cage, et de se trouver placé dans un nouveau groupe au sein duquel il lui faut à nouveau assurer sa position sociale, à partir de rien. L’homme est un singe nu qui tient, lui aussi, à sa place dans la tribu. Et il n’aime pas la risquer. Même lorsque nous souffrons parce que notre rôle social n’est pas – ou n’est plus – en phase avec nos valeurs et nos aspirations, il est terriblement difficile de se libérer, difficile de cesser de se conformer à ce que nous croyons que l’on attend de nous.
Pourtant, Aristote déjà parlait du processus d’« auto-accomplissement » de l’homme. Pour lui, chaque être vivant est comme une graine qui doit devenir une plante unique. Chaque être humain doit donc aller au bout de son processus d’accomplissement et devenir tout ce que son potentiel lui permet. Quelque deux mille cinq cents ans plus tard, Abraham Maslow, le grand psychologue humaniste à l’origine du mouvement du développement personnel dans les années 60, s’est livré à une étude sur les gens plus heureux que les autres. Il concluait, comme Aristote, qu’ils s’étaient mieux « actualisés », c’est-à-dire qu’ils étaient allés plus loin dans la réalisation de leur « moi ». Ils s’étaient d’abord acceptés tels qu’ils étaient et, ensuite seulement, en avaient fait un don tourné vers les autres (A. Maslow, The Further Reaches of Human Nature, New York, Viking (1971).
Récemment, le professeur Cole de l’université de San Francisco a démontré que notre corps lui-même a besoin que nous acceptions ce que nous sommes. Il a suivi plus de deux cents hommes homosexuels pendant cinq ans. A la fin de l’étude, ceux qui avaient fait le choix de cacher leur homosexualité avaient développé trois fois plus de cancer ou d’infection sérieuse. Plusieurs auteurs concluent que, pour fonctionner au mieux, notre système immunitaire a besoin de sentir que nous vivons en intégrité avec nous-même, que nous sommes « authentique », même au risque de déplaire au groupe dans lequel nous vivons (S. W. Cole, M. E. Kemeny et al., Health Psychology 15(4): 243-251 – 1996).
Nous existons tous avec nos masques, des petits et des plus grands. Mais le courage d’être soi semble faire partie du processus de la vie elle-même, jusque dans nos cellules. A chacun de relever ce défi que nous lance la biologie.
Février 2003