Mortelle colère
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Juillet 2002
Paul est pressé. Il parle beaucoup et vite. Et fait toujours plusieurs choses à la fois. Il veut «optimiser» son temps. Ce qu’il abhorre le plus ? Faire la queue dans une file d’attente. Son énervement est palpable pour ceux qui l’entourent. Paul est un pur «type A», le type de personnalité que l’on associe depuis trente ans à un risque plus élevé d’hypertension et d’infarctus. Aujourd’hui, pourtant, le sentiment de manquer de temps ne semble plus être le principal facteur de risque. Faire preuve d’hostilité, de cynisme et de méfiance – comportements souvent observés chez le type A – serait encore plus dangereux. Ainsi, c’est lorsque Paul grommelle des injures contre le «vieillard» qui met tant de temps à vider son Caddy à la caisse du supermarché qu’il pénalise son cœur et risque de fissurer les dépôts de graisse sur la paroi de ses artères. C’est lorsqu’il dit à sa femme : « Si ton frère appelle, c’est qu’il a encore besoin de quelque chose ! », qu’il atténue l’efficacité des cellules immunitaires chargées d’éliminer les tumeurs cancéreuses en formation.
Dans une revue analysant quarante-cinq études (1), les individus les plus agressifs présentaient un risque de mort prématurée supérieur de 42 % à celui de ceux qui se mettaient moins facilement en colère. Toutes les causes de mortalité étaient concernées, les maladies du cœur comme les cancers. Dans une autre étude (2), les étudiants en médecine les plus hostiles avaient cinq fois plus de chance d’avoir un infarctus dans les quarante ans à venir que ceux qui étaient plus nonchalants.
Si l’hostilité est un facteur de risque plus important que le cholestérol ou l’hypertension, les médecins n’aiment pourtant pas y penser. Et encore moins s’y attaquer. Un peu comme, il n’y a pas si longtemps, la nutrition et la cigarette. Les médecins hésitaient à confronter leurs patients à ces sujets «difficiles», ces aspects si «privés» et si chers à chacun que l’on préfère croire qu’ils ne mettent en danger que les autres. Comment, après tout, faire changer une personne chez qui l’hostilité et la méfiance sont au cœur de la personnalité ? Ce n’est pourtant pas impossible. D’après mon expérience, l’une des approches les plus efficaces est la thérapie de groupe. En mettant chaque individu au contact de la douleur des autres, mais aussi de leur vérité, de leur peur, de leur fragilité et, au final, de leur noblesse, elle est une remarquable éducation humaniste. C’est l’un des rares endroits où les masques tombent. Et, lorsque l’autre est sans masque, il devient presque impossible de le haïr, ni même de le mépriser.
Une étude américaine (3) a montré qu’une courte thérapie de groupe visant spécifiquement les comportements de type A réduisait de 50 % le risque de mort dans les cinq années suivant un infarctus. Aucun médicament ne peut se targuer de la même efficacité. Alors, si dans les embouteillages ou en faisant la queue à la poste, vous sentez monter trop souvent la colère, pourquoi ne pas travailler sur elle avant qu’elle ne fasse son mortel travail sur vous ?
1- “Psych. Bull.”, Miller et al. (119 : 322-348), 1996.
2- “Arch. Int. Medicine”, Chang et al., 2002.
3- “Am Heart Journal”, Friedman et al., 1986.
juillet 2002