Le sorcier et le placebo
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Juillet 1999
Dans le laboratoire, Takeo ne supporte plus la démangeaison. Il regarde son bras droit qui devient de plus en plus rouge et se demande pourquoi il a accepté de participer à cette expérience. Il sait qu’il est allergique au « poison ivy « (en botanique : Rhus radicans, herbe à puce). A quoi bon s’y exposer à nouveau ? Une heure plus tard, Takeo refuse de croire ce que lui dit le professeur Ikomi : ce n’est pas sur son bras droit, qui continue pourtant d’enfler, que l’on a appliqué l’extrait de plante – lui n’a reçu que de l’eau –, mais bien sur son bras gauche qui ne présente aucun symptôme. Comme 50 % des sujets de cette expérience japonaise, les bras de Takeo ont réagi à l’» idée « de l’allergène et non à sa réalité physique.
Ce contrôle de l’esprit sur le corps, la médecine moderne, qui ne le comprend toujours pas, l’appelle « effet placebo «.Un placebo est une pilule d’eau et de sucre qui ne contient aucun ingrédient actif. L’effet placebo, c’est l’ensemble des facteurs culturels et relationnels qui font qu’un malade se sent mieux lorsqu’un médecin lui prescrit une cure, quelle qu’elle soit. Aujourd’hui, les médecins croient tout savoir de l’effet placebo. A la faculté, on leur a enseigné qu’environ 30 % des malades « traités « ainsi montrent des signes d’amélioration.
Mais celle-ci serait essentiellement subjective et, surtout, temporaire puisqu’en réalité le cours de la maladie ne serait pas véritablement affecté. Pourtant, à force d’étudier cet effet, certains se demandent s’il n’est pas le principal moteur de la médecine elle-même.
Une étude récente estime à 70 % le taux d’efficacité de plusieurs placebos dans le traitement de maladies telles que l’ulcère de l’estomac, l’angine de poitrine ou l’herpès. A titre de comparaison, celui des antibiotiques destinés à lutter contre la pneumonie est d’environ 80 %. Des cas de « guérison « célèbres témoignent également de l’efficacité de placebos sur la fonte de tumeurs cancéreuses ou la régénération des cellules immunitaires chez des malades atteints du sida.
A travers l’hypothalamus, situé à la base du cerveau, nos pensées peuvent présider à la distribution d’hormones essentielles et contrôler le réseau diffus de l’innervation des viscères. Le mécanisme le plus intriguant est sans doute celui proposé par le professeur Candice Pert. Elle a démontré que les peptides – petites molécules servant à la transmission de messages entre les neurones du cerveau – affectent aussi le comportement de la quasi-totalité des cellules du corps, qu’elles soient immunitaires, digestives ou vasculaires. Donc, ce que l’on appelle « l’esprit « ne serait pas localisé uniquement dans le cerveau, mais dans l’ensemble du corps. Animé par le va-et-vient incessant de ces messagers moléculaires, il constituerait un immense réseau de communication englobant toutes les fonctions de l’organisme.
L’effet placebo ? Ce serait donc tout ce qu’on ne sait pas de la capacité du cerveau à guérir le corps. C’est sans doute là que réside le secret des chamans et autres guérisseurs : leurs rites, chants, gestes s’adresseraient directement aux parties les plus archaïques du cerveau – cerveaux reptilien et limbique –, celles qui régulent notre organisme et peuvent participer à sa guérison.
La médecine scientifique a perdu cette connaissance. Elle l’a remplacée par la maîtrise de principes mécaniques qui permettent de soigner la maladie sans parler au malade. Toutefois, même sans chaman, vous pouvez profiter de ces liens corps-esprit. Trouvez un médecin dont la personnalité vous réconforte et qui sache écouter votre histoire. Demandez-lui de vous expliquer vos symptômes et le traitement qu’il propose. Invitez-le, enfin, à vous décrire les étapes qui doivent vous mener de la maladie au bien-être.