Le mauvais sort médical
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Avril 2000
L’homme qui découvre qu’un ennemi lui jette un mauvais sort offre une image piteuse. Il se tient consterné, le regard fixé sur l’objet pointé vers lui et les mains levées comme s’il espérait se protéger du poison létal qu’il imagine en train de pénétrer son corps. Ses joues pâlissent, ses yeux deviennent vitreux, son visage exprime l’horreur… Il tente de hurler, mais généralement les sons restent étranglés dans sa gorge, et seule une mousse blanche sort au coin de ses lèvres. Son corps commence à trembler et ses muscles se contractent involontairement. Sa mort n’est plus qu’une affaire de quelques jours. « Walter B. Cannon, le grand physiologiste qui a donné son nom a la réaction de « fight or flight « (« combat ou évasion «), relate ainsi l’un des multiples comptes-rendus d’anthropologues sur le phénomène de « la mort par un mauvais sort « chez les populations primitives.
Il attribue ce grand drame physiologique au pouvoir que les croyances peuvent avoir sur les aires les plus intimes et les plus archaïques de notre cerveau : les aires limbiques, que nous partageons avec tous les mammifères, et certaines mêmes avec les reptiles. Elles tiennent la clé de l’équilibre hormonal et immunologique de toutes les fonctions du corps : sécrétion du cortisol, de l’adrénaline ; contrôle des globules blancs « natural killers «, qui éliminent en permanence les tissus précancéreux et les bactéries ; etc. Leur bon fonctionnement est nécessaire à l’harmonie du corps. Leur dérèglement est une cause certaine de maladie ou, comme on le voit dans cette observation, de mort.
Dans son brillant essai, datant de 1942, Cannon se limite à l’étude de populations « indigènes « qu’il qualifie d’» ignorantes, superstitieuses et crédules «. Nous partageons toutefois exactement le même appareillage neurologique et physiologique. S’il est vrai que l’on voit rarement un de nos concitoyens s’effondrer devant le bâton d’un chaman malveillant, nous sommes aussi sensibles que nos frères « indigènes « aux manifestations symboliques qui nous condamnent. Combien d’entre nous, atteints d’un cancer, du sida ou d’un simple diagnostic d’» infertilité «, ont échappé aux conséquences physiologiques de ces grands maux qui touchent jusqu’au plus profond de nos cellules ? L’accoutrement et les objets rituels de nos médecins sont aujourd’hui différents : blouse blanche, stéthoscope et scanner. Mais, dès lors que nous croyons en leur science, leurs déclarations continuent de pénétrer toutes les couches de notre organisme. Et si nous imaginons les « démons « qui nous menacent en termes plus scientifiques – une tumeur, un virus, un déficit immunitaire –, ces images n’en ont que davantage de pouvoir sur notre physiologie.
Pour chacune des grandes maladies, il existe des études permettant d’estimer la chance de rechute à un an, deux ans, trois ans, etc. Mais, pour chacune, une proportion de malades défie les statistiques. C’est ainsi que Michael Scheier, à l’université de Carnegie Mellon, a démontré que, après une opération à cœur ouvert, les malades optimistes sur leurs chances de s’en sortir ne sont pas réhospitalisés aussi souvent que les autres. Et ceci, indépendamment de la sévérité de leur état. De même, une étude sur des malades atteints du sida a montré que ceux qui avaient une foi absolue en leur traitement sont en bien meilleure santé un et deux ans plus tard.
Alors, qu’en conclure ? Faudrait-il dire à son médecin : « Docteur, mentez-moi ! « ? Je ne crois pas. Cet optimisme qui nous soutient face aux diagnostics effrayants doit être ancré dans la vérité. Il suffit de se rappeler que 1 % des cas au moins échappent à tous les pronostics. Il faut se concentrer sur ce que ce pourcent-là a fait pour s’en sortir, puis y adhérer de tout cœur. C’est ça le contrepoison du « mauvais sort « médical.