Le bon stress nous fait grandir
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Juillet 2010
Claude n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il opère. Chirurgien cardiaque depuis vingt ans, il est responsable d’un centre de pontages coronariens. Plus l’opération est difficile, plus il faut être rapide, précis – sans droit à l’erreur –, plus il est dans son élément. Il surnage avec facilité et bonheur dans l’adrénaline. Son cerveau lui donne l’impression d’être extralucide, ses gestes, d’être fluides. Ce sont des sensations qu’il ne retrouve jamais en dehors du bloc. Pour Yolande, c’est le moment juste avant l’ouverture du rideau du théâtre. Même si elle est actrice depuis plus de vingt ans, elle sent son coeur battre la chamade, sa gorge se serrer, ses mains se tremper de sueur. Elle déteste ce trac qui ne l’a jamais lâchée, pourtant, elle sait que c’est cela aussi qui la porte.
Pour d’autres, ce sont les présentations en public ou le ski sur les pentes vertigineusement verticales de glaciers alpins, le moment du décollage en parapente au sommet d’une falaise, une course de voilier ou un accouchement qui mobilisent leur attention et les mettent dans cet état particulier, à la fois physique et mental, de mobilisation complète. D’un point de vue purement physiologique, tout dans leur corps est en état de stress : rythme cardiaque accéléré, tension artérielle et musculaire augmentée, adrénaline coulant à flots, cortisol aussi. Mais, dans le cas du chirurgien, du sportif en compétition, de l’acteur qui s’apprête à entrer en scène ou même de la femme qui va accoucher, il ne s’agit pas d’un « mauvais » stress, au sens où on l’entend le plus souvent. Au contraire, on peut parler de « bon » stress. D’une réponse de l’organisme cherchant à s’adapter au mieux à une situation inhabituelle qui présente un « challenge ».
Ce qui distingue un bon stress d’un mauvais stress n’est pas tant les flux d’hormones et le rythme cardiaque que les facteurs psychologiques de la situation. Sans stress, nous ne serions pas stimulés. Nos compétences, nos capacités de réponse resteraient sous-utilisées. Et nous n’en développerions pas de nouvelles. Quand l’épreuve dépasse nos capacités d’y faire face (un examen passé sans préparation, une inondation, un attentat), nous vivons surtout les effets du mauvais stress. Plus encore si la situation dure longtemps et que nous restons impuissants. Mais si nous avons la compétence pour faire face, voire le désir de nous confronter à un événement qui est à notre portée, la réponse physiologique de stress se calme rapidement, dès l’épreuve maîtrisée. On parle d’épreuve qui a été traversée – voire de victoire – et qui nous a fait grandir.
Pour transformer un échec déprimant, horrible, en une épreuve qui fait grandir, il s’agit : un, d’avoir choisi de s’y confronter ; deux, d’avoir acquis les compétences nécessaires pour faire face à ce qui sera exigé de nous ; trois, d’avoir les soutiens humains appropriés pendant et après l’épreuve – un bon avocat lors d’un divorce, des amis pour nous conforter dans l’idée que l’on est quelqu’un de bien… Nous connaissions les états de stress posttraumatique qui sont les séquelles de l’expérience écrasante d’un mauvais stress ; nous découvrons aujourd’hui les états de sagesse posttraumatique. Celle qui est née des nouvelles perspectives – connaissances, capacités d’acceptation – qui peuvent se former dans le creuset des épreuves de la vie.
Juillet 2010