La psychiatrie du futur
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Février 2007
J’ai l’impression d’avoir pénétré par mégarde dans la clinique médicale d’un épisode de Star Trek… Le docteur Greg Siegle dirige le laboratoire des neurosciences des émotions à l’université de Pittsburgh, aux Etats-Unis. Il est assis avec Sandra, une jeune femme qui souffre de dépression. Au lieu de lui poser des questions sur son état pour comprendre sa maladie, comme dans tout bon département de psychiatrie, il lui montre un scanner de son cerveau. Avec ses doigts délicats, il souligne une région qui est clairement suractivée chez elle. Il s’agit d’un noyau en forme d’amande que l’on retrouve des deux côtés du cerveau et qui s’appelle l’amygdale.
L’amygdale est enfouie au plus profond du cerveau émotionnel – le plus archaïque. C’est une partie du cerveau que l’on retrouve même chez les reptiles. Elle n’a aucune des capacités d’analyse ultrasophistiquées de notre cerveau cortical. Et pourtant, elle est la première à recevoir les images, les sons, les odeurs, les sensations qui nous viennent de l’extérieur. Avant même que le reste du cerveau ne soit au courant de ce qui a été perçu, elle peut déclencher une émotion immédiate : peur, colère, rage.
L’amygdale est la sentinelle du corps
Toujours à l’affût, elle est chargée de surveiller tout signe de menace et de déclencher l’alarme quand il le faut. Mais chez Sandra – comme chez la plupart des patients déprimés étudiés par Greg Siegle – l’amygdale est devenue trop sensible, sans doute à cause des blessures de la vie. Dès que ces patients déprimés lisent des mots qui leur rappellent ce qui ne va pas, leur amygdale déclenche une alarme intempestive. Des mots comme « faible », « raté », « nul », « incapable » sont des déclencheurs fréquents. Ou bien « abandon », « solitude », « mort »…
Sandra décrit au docteur Siegle comment son cerveau tourne à vide sur ses préoccupations : si elle se met à penser au conflit qui l’oppose à sa sœur, ou bien à tout le travail qu’elle n’a pas encore eu le temps de faire au bureau, elle ne peut plus s’arrêter de ruminer ses tracas à propos de la situation. Elle sait bien que ça ne sert à rien, mais il n’y a rien à faire pour s’arrêter.
Greg Siegle lui montre l’autre région de son cerveau qui ne fonctionne pas normalement : son cortex préfrontal. C’est la région du cerveau responsable du contrôle des émotions, de la projection dans le futur, celle qui permet de renoncer à un plaisir immédiat (un autre carré de chocolat, par exemple) pour un but plus abstrait et distant (en l’occurrence, rester mince). C’est aussi la région du cerveau la plus développée chez l’humain par rapport à tous les autres mammifères.
Chez Sandra – et les patients déprimés – elle ne fonctionne plus que « sur un cylindre », comme le montre son scanner. Du coup, mettre de l’énergie dans les projets futurs est beaucoup plus difficile. Et contrôler l’hyperactivité de l’amygdale, qui réagit au moindre signe négatif, devient de plus en plus aléatoire… Alors Sandra a le sentiment qu’elle ne peut pas endiguer ses idées noires, ni imaginer un futur plus positif. Elle identifie ces ruminations automatiques et dégradantes si fréquentes dans la dépression : « Je suis nul », « Je n’y arriverai jamais », « De toute façon, je n’ai jamais eu de chance », etc.
Et puis, un peu comme dans la méditation, elle demande au patient de se regarder ayant ces pensées plutôt que de les prendre au premier degré. Il ne s’agit que de pensées dépressives, après tout. Il faut consciemment en évaluer la solidité. Sont-elles fondées sur des faits réels ? Ne sont-elles pas surtout des généralisations très exagérées ? Que dirions-nous à notre meilleure amie si c’était elle qui s’accusait de façon aussi violente ? Ou à notre fils ? Pourquoi ces accusations seraient-elles plus vraies lorsqu’elles sont tournées vers nous-même que lorsque ce sont d’autres qui se les infligent ?
En apprenant à mettre en perspective les accusations déclenchées par une amygdale trop inquiète, l’activité du cortex préfrontal est progressivement renforcée, un peu comme on rend un muscle plus fort en lui faisant faire de l’exercice. Et lorsque le cortex préfrontal est plus fort, il peut reprendre le dessus, calmer l’amygdale et nous permettre de nous projeter à nouveau dans l’avenir avec détermination et confiance. C’est ce qu’a vécu Sandra au fil de ses séances de thérapie. C’est ce que nous avons tous la possibilité d’apprendre. En nous entraînant à contrôler nos pensées négatives, nous contribuons à rééquilibrer notre cerveau !
Février 2007