La douceur de ta main
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Janvier 2009
Dans le film Nuits blanches à Seattle, de Nora Ephron (1993) (1), Meg Ryan rêve de rencontrer l’homme dont le contact de la main lui procurera ce rare sentiment de paix et de sécurité auquel aspire secrètement chaque être humain. Est-ce un fantasme hollywoodien, ou bien y a-t-il une réalité derrière cette idée que le simple contact de la main de l’autre puisse « parler » à notre être profond ?
Depuis trente ans, les études sociologiques ont établi avec certitude que les personnes qui vivent – heureuses – en couple sont en meilleure santé. Elles ont moins de rhumes, moins de maladies cardiaques, et même moins de cancers (« Marital status and mortality : the national longitudinal mortality study » de N.J. Johnson, E. Backlund, P.D. Sorlie et C.A. Loveless, in Annals of Epidemiology, mai 2000). Quelques études suggèrent désormais que ce serait précisément grâce aux effets du contact physique amoureux.
À l’université de Zurich, en Suisse, la chercheuse Beate Ditzen a demandé à des femmes heureuses dans leur mariage de passer une épreuve en public et devant un jury. Comme pour 90 % des humains, cela a généré en elles un stress important. Certaines d’entre elles n’ont eu aucun contact avec leur mari avant leur « examen ». Leur rythme cardiaque et le niveau des hormones de stress (comme le cortisol, le principal indicateur biologique du stress) ont augmenté brutalement. Celles à qui les maris avaient dit des mots d’encouragement avant l’épreuve n’ont pas été davantage protégées des effets du stress que s’ils n’avaient pas été là. En revanche, celles qui avaient reçu un petit massage des épaules et du cou (dix minutes, avec un peu d’huile) de l’homme qu’elles aimaient ont traversé l’épreuve avec beaucoup plus de calme. Leur rythme cardiaque et leur niveau de cortisol sont eux aussi restés normaux (« Adult attachment and social support interact to reduce psychological but not cortisol responses to stress » de B. Ditzen, S. Schmidt, B. Strauss, U.M. Nater, U. Ehlert et M. Heinrichs, in Journal of Psychosomatic Research, mai 2008).
Au cours d’une une autre étude, la même équipe a suivi cinquante et un couples de très près pendant une semaine. Plus ces femmes et ces hommes se touchaient, ou faisaient l’amour, et moins leur cortisol était élevé. Là encore, ce n’était pas la qualité des échanges émotionnels par la parole qui faisait une différence, mais bien le temps passé chaque jour à se toucher la main, à se prendre dans les bras ou à se caresser la peau. Et plus ils enduraient de stress au bureau, plus l’effet protecteur du toucher sur les montées de cortisol – et sur leur humeur – était marqué (« Effects of different kinds of couple interaction on cortisol and heart rate responses to stress in women » de B. Ditzen, I.D. Neumann, G. Bodenmann et al., in Psychoneuroendocrinology, juin 2007).
Les perruches, comme les singes, les chiens, les chats – et les enfants ! –, semblent savoir mieux que nous comment prendre soin de leur physiologie de cette manière. Les animaux recherchent sans arrêt le contact physique avec ceux en qui ils ont confiance. Ils s’en nourrissent comme on peut se nourrir d’autres énergies : celles de l’air, de l’eau, de la nourriture, d’un feu de cheminée ou du soleil…
Pour nous, humains adultes, c’est un aspect de notre vie que nous négligeons souvent. Combien d’hommes et de femmes se sont mis en couple avec quelqu’un dont, au fond, ils n’aiment vraiment ni l’odeur ni le contact de la peau ? D’autres couples, au contraire, nous surprennent parfois tant ils semblent dépareillés au niveau de leurs intérêts ou de leurs origines, mais on voit d’emblée qu’ils sont bien, comme « posés » lorsqu’ils sont l’un à côté de l’autre, souvent même tout à côté l’un de l’autre. Sans doute ont-ils répondu à cet appel « animal » au fond d’eux qui leur a fait sentir que quelque chose – leur cortisol ? – réagissait à la présence physique de ce partenaire-là.
Voilà encore une énergie, une ressource inépuisable et gratuite dont nous pouvons tous apprendre à tirer profit et à offrir, avant chaque examen, chaque épreuve au bureau, à l’occasion de chaque revers de l’existence, ou bien simplement comme ça, pour rien, comme on respire ou comme on se met au soleil. Pour sentir, à travers la douceur de la main, la douceur de la vie.
Janvier 2009