Comment modifier nos mauvaises habitudes ?
Mis à jour le 14 octobre 2022
David Servan-Schreiber – Psychologies Magazine – Mars 2006
Nous avons tous de mauvaises habitudes, mais changer sa manière de vivre est difficile. Pourtant, au fond de nous, nous sommes convaincus que s’il le fallait vraiment, nous trouverions la force de le faire. Pour Martin, avocat, c’était une question de vie ou de mort, et pourtant… A 50 ans, il en était à son deuxième pontage coronarien. Les artères de son cœur étaient tellement bouchées qu’un troisième pontage n’était pas envisageable. Il fallait impérativement qu’il arrête de fumer, qu’il change son régime et qu’il fasse du sport : les seules approches connues qui soignent véritablement les maladies cardiaques – les médicaments ne venant qu’en deuxième ligne. Sans ces changements, ses chances de survie étaient terriblement faibles.
Pourtant, il ne pouvait s’y résoudre. Impossible de se tenir à de « bonnes résolutions ». Et vous, le feriez-vous ? Oui ? En êtes-vous si sûr ? Les probabilités sont contre vous, à neuf contre un : 90 % des personnes qui ont subi un pontage n’ont pas modifié leurs habitudes de façon significative deux ans plus tard. Et ces personnes, c’est nous : Occidentaux, éduqués, en pleine possession de l’information nécessaire. Nous, qui ne changeons rien (Miller E., The Changing Nature of Innovation in Health Care. In : IBM Global Innovation Outlook Conference ; 2004 ; Rockefeller University, New York, NY ; cited in Deutschman A., Change or Die. Fast Company 2005 May : 53.).
Peut-être est-ce trop demander ? S’il s’agissait simplement de prendre une pilule le matin, nous le ferions certainement, n’est-ce pas ? Toujours pas !
Dans certaines études, deux tiers des personnes à qui l’on prescrit un médicament pour faire baisser leur cholestérol ne le prennent plus au bout d’un an, malgré les injonctions de leur médecin (Huser M.A. et al., Medication Adherence Trends with Statins. Adv Ther 2005 ; 22 : 163-71.)… Alors, que se passe-t-il ? A quoi résistons-nous ? Martin était beaucoup trop gros, il avait arrêté le sport depuis des années, il ne se déplaçait plus qu’en voiture, sa vie sexuelle s’était progressivement réduite depuis qu’il n’avait plus confiance en ses érections, il s’était brouillé avec ses enfants après son divorce, les voyait rarement, et souffrait de la tension de ces moments un peu forcés.
Depuis l’absorption de son cabinet par un plus grand groupe, sa charge de travail avait beaucoup augmenté et il avait abandonné les soirées où il jouait du jazz au piano avec ses amis. Alors comment se résoudre à lâcher aussi ses fidèles Rothmans, et les frites et les desserts ? C’était ses derniers vrais amis, toujours là, prévisibles et réconfortants quand plus rien d’autre ne semblait l’être. Et puis, au fond de lui, l’idée d’ajouter des années de survie à cette existence plutôt morne n’avait rien d’enthousiasmant. Pas au point, en tout cas, de laisser tomber les petites habitudes qui lui apportaient du plaisir. Ce qui peut nous faire changer, ce n’est pas l’information sur nos chances de survie : qui a arrêté de fumer parce qu’il est écrit « Fumer tue » sur les paquets de cigarettes ? Aucune information abstraite ne peut nous motiver suffisamment.
Le passage secret se trouve dans les émotions : il faut que les changements que nous entreprenons soient tels que nous nous sentions plus en vie. Il faut que nous ayons plus de plaisir en changeant qu’en ne changeant pas. Martin a changé. Il s’est lancé grâce à un groupe de soutien. Il a même compris que plus vite il lâchait ce qui l’avait enfermé dans son isolement et dans un corps qu’il n’aimait plus, plus il se sentait en vie : ne plus être essoufflé, découvrir la douce ébriété de la fatigue physique après un effort soutenu, voir revenir ses érections du matin, faire baisser son cholestérol sans même prendre de médicaments, et sentir à travers cela qu’il était à nouveau maître de son corps.
Mais l’étape décisive a été de renouer avec ses enfants grâce à l’intervention de son généraliste un peu « psy », et de sentir l’envie qu’il avait d’apprendre à son fils à jouer du jazz. Et puis d’aider sa fille à monter son site Internet sur le développement durable. Et enfin de réorienter son travail d’avocat pour devenir médiateur en résolution de conflits. Ça rapportait moins, mais ça lui donnait beaucoup plus l’impression de contribuer utilement à la société, à plus de justice, plus d’harmonie. Au bout de trois ans, avec un sourire qui vous réchauffait le cœur, il aimait dire : « Ma maladie, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée ! »
Dean Ornish est le grand cardiologue de l’université américaine de San Francisco qui a démontré que l’on pouvait guérir des maladies cardiaques grâce aux groupes de soutien qui prônent la méditation, l’ouverture aux émotions, le régime, l’exercice et l’arrêt du tabac. Dans son livre, il résume parfaitement la découverte de Martin : « La meilleure motivation pour changer, ce n’est pas la peur de mourir mais la joie de vivre (Ornish D. Love and Survival : Harper Perennial ; 1999.) !»
Mars 2006